C’est un cauchemar digne d’un film qu’ont vécu les douze passagers et le conducteur du train reliant Sainte-Croix à Yverdon, jeudi passé. La prise d'otages s’est heureusement terminée par la libération des passagers, mais aussi par la mort de l’auteur des faits, un requérant d’asile d’origine iranienne de 32 ans.
Parti à 18h06 de la gare de Sainte-Croix, le train file dans la nuit. Lorsqu’il repart de Baulmes, il a à son bord treize passagers. Selon le chef de la direction prévention et communication de la police cantonale vaudoise, Jean-Christophe Sauterel, on ignore encore si le trentenaire, un requérant d’asile originaire d’Iran, qui s’apprête à prendre en otage les passagers, se trouvait déjà dans le train à son départ de Sainte-Croix ou à quel arrêt il serait monté. La police ignore également pourquoi il se trouvait dans la région, lui dont le dossier avait été attribué au canton de Genève en 2022. « On n’a pas la réponse à cette question et on ne le saura peut-être jamais », déclare Jean-Christophe Sauterel. L’enquête suit son cours.
Passage à l’acte
Ce qu’on sait, c’est qu’un peu moins de trente minutes après avoir entamé sa course, vers 18h35, le train s’arrête à la gare d’Essert-sous-Champvent pour ne plus repartir. À l’intérieur, le conducteur a fait immobiliser le train, alerté par les passagers qui frappent à la porte de sa cabine et l’informent qu’ils sont pris en otages. C’est aussi à cet arrêt que l’auteur des faits, très agité durant tout le voyage, d’après le témoignage des passagers relaté dans un article du Temps, aurait menacé les passagers avec une arme et les aurait rassemblés à l’avant du train. D’après un communiqué de la police, il avait en sa possession un marteau, une hache et un couteau.
Après avoir arrêté le véhicule et bloqué les portes, le mécanicien appelle le Centre d’exploitation à Orbe, qui interrompt immédiatement le trafic sur la ligne, et contacte la police. Celle-ci aurait également été prévenue par des passagers. Un important dispositif se met alors en place autour de la gare : plus d’une soixantaine de policiers, selon Jean-Christophe Sauterel, se tiennent prêts pour l’intervention. Une longue phase de négociations avec l’assaillant commence, notamment grâce à un interprète parlant le farsi.
À l’intérieur du train, l’homme est agité et énervé, et s’exprime dans un anglais difficile à comprendre. Une vidéo tournée à son insu par un passager le montre en train d’interagir avec les otages. Il y manifeste son désir de se rendre en Angleterre et de quitter la Suisse où il ne se sent pas bien. À plusieurs reprises, d’après le témoignage d’otages, il menace les passagers de passer à l’acte. À la police, il exige de pouvoir parler à une collaboratrice d’un centre de requérants d’asile. Selon le communiqué de la police cantonale, de nombreuses interventions auraient d’ailleurs dû avoir lieu en raison de son comportement vis-à-vis de celle-ci.
Intervention policière
Vers 22h15, l’homme s’éloigne à l’arrière du train. C’est cet instant que choisit le groupe d’intervention, prévenu par un passager, pour pénétrer dans la rame. « Après quatre heures de négociation sans succès, le groupe d’intervention a profité qu’il y ait une distance suffisante entre les otages et le preneur d’otages. C’était une intervention d’opportunité », explique Jean-Christophe Sauterel.
L’un des policiers aurait d’abord fait usage de son taser pour immobiliser l’individu qui se précipitait sur eux. Puis, un deuxième policier aurait utilisé son arme, touchant mortellement l’assaillant qui continuait sa course dans la direction du groupe d’intervention et des otages, explique le communiqué de la police cantonale vaudoise.
Dès leur sortie du train, les passagers ont été auditionnés jusque tard dans la nuit et ont été pris en charge par une cellule psychologique.
Bilan TRAVYS
La perturbation sur la ligne a été levée à 03h15 et le trafic a pu reprendre normalement avec le premier train d’Yverdon à Sainte-Croix de 4h46 le vendredi, d’après Marine Kerhoas, directrice du département relation client et communication de la compagnie TRAVYS. Mais on peut supposer que le drame a dissuadé ceux qui pouvaient l’éviter d’emprunter l’Yverdon-Sainte-Croix dans les jours qui ont suivi. « Nous avons constaté une baisse de fréquentation de nos trains affrétés spécialement pour le Carnaval par rapport aux autres années », rapporte Marine Kerhoas. Questionnée par rapport au renforcement de la sécurité générale des voyageurs, elle explique que la décision avait été prise l’année dernière d’augmenter de 33 % le budget consacré à la sécurisation des véhicules par des patrouilles en 2024, et que la présence active de contrôleurs a été doublée depuis l’automne. À l’intérieur des rames TRAVYS, il n’existe pas de boutons d’alarme, mais des autocollants indiquant le numéro de la police sont placés à plusieurs endroits.
L’attitude du mécanicien, en congé, a été saluée et qualifiée « d’exemplaire » par la Direction de l’entreprise qui souligne qu’il s’est « très bien occupé des clients ». Selon des témoignages d’otages, il aurait en effet cherché à maintenir la communication avec l’assaillant afin de l’apaiser.
La rame dans laquelle a eu lieu la prise d’otages fait actuellement l’objet de réparations et n’est plus en service.
Enquête du Ministère public en cours
Au vu de l’état psychologique de l’assaillant, qui faisait l’objet d’avis de disparition d’un des centres d’accueil de l’Hospice général, à Palexpo, avec un risque suicidaire, il est difficile d’établir dans quelle mesure son acte était prémédité, ni quelles étaient ses réelles motivations. Une enquête du Ministère public est ouverte. Elle devra également établir les circonstances dans lesquelles le policier a fait usage de son arme. « L’intervention des spécialistes des groupes d’intervention GIPL et DARD a permis de préserver l’intégrité et la vie des passagers, et c’est ce qui était le plus important pour nous. Maintenant, c’est à la justice de déterminer si l’usage de l’arme, dans cette situation-là, correspondait aux dispositions légales et était proportionnée. Lorsqu’il y a la mort d’une personne avec usage d’une arme, une enquête est systématiquement conduite par le Ministère public central. L’usage d’une arme implique le risque de tuer la personne visée », explique Jean-Christophe Sauterel.
D’après le chef de la direction prévention et communication de la police cantonale vaudoise, le policier qui a utilisé son arme est toujours en service et continue à effectuer ses missions.
Suites politiques
Dès le lendemain qui a suivi la prise d’otages dans le train de TRAVYS, les réactions politiques ont fusé. L’UDC vaudoise a annoncé qu’elle interviendrait au Parlement durant la prochaine session parlementaire, notamment via la voix du conseiller national Yvan Pahud. « La population suisse a le droit de savoir qui elle accueille, loge, nourri et soigne. Je vais donc demander quel était le statut de cette personne. Était-elle admise provisoirement ou sous le coup d’un renvoi ? Était-elle connue pour un comportement violent et menaçant, faisait-elle l’objet d’un suivi de la part des autorités ou pour troubles psychologiques ? », détaille l’élu sainte-crix. Pour Yvan Pahud, le pire a bien été évité ce jeudi, l’attaque finale à l’encontre du policier montrant bien, selon lui, que le preneur d’otages était prêt à tout.
À gauche, on craint qu’un cas individuel ne serve le discours de l’UDC, en extrapolant le lien entre étrangers et criminels. L’accompagnement de la fragilité psychologique des migrants est également questionné.
Le conseiller fédéral chargé du Département fédéral de justice et police, en charge de l’asile, Beat Jans a salué l’intervention policière et précisé que le Secrétariat d’État aux migrations allait « analyser ce cas et les conséquences éventuelles avec les cantons concernés ».
À droite comme à gauche, la politique d’asile en Suisse est donc aujourd’hui sous le feu des projecteurs, alors que dans le canton de Vaud, un communiqué du gouvernement annonçait début février ses premières mesures visant une répartition plus équilibrée des personnes migrantes sur le sol vaudois. Depuis février 2022, l’EVAM a enregistré une augmentation du nombre de ses bénéficiaires, passant de 5’430 à 12’662 personnes à la fin janvier 2024.
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