Réunir des familles migrantes et suisses sous un même toit pour partager un repas, c’est le projet un peu fou que Mireille Keita-Gilgien a lancé en 2017. De ces belles rencontres, elle a eu l’idée de faire un documentaire. « Bienvenue chez moi », tourné en 2022, a été présenté pour la première fois au cinéma Royal à Sainte-Croix, le 21 mai dernier. D’autres projections sont prévues, notamment à Yverdon et à Baulmes, les 15 et 17 juin prochains. La réalisatrice nous a reçu pour une interview chez elle à Baulmes afin de nous parler de son film et du message qu’elle souhaite transmettre.
Dimanche 21 mai, la salle du cinéma Royal était pleine pour la première projection du film « Bienvenue chez moi », le documentaire de Mireille Keita-Gilgien. Assises dans la salle notamment, les familles qui ont pris part au projet. Le documentaire en suit douze qui ont accepté d’être filmées lors de leur expérience. Les familles suisses ont accueilli chez elles des familles migrantes le temps de la préparation, puis de la dégustation des repas (d’abord celui de la famille reçue, puis le soir, celui des hôtes). L’occasion de se rencontrer et d’échanger autour d’une activité commune, la cuisine, et d’apprendre à se découvrir.
Naissance du projet
Ce projet de rencontres existait déjà depuis quelques années, avant de constituer un documentaire. Il a été lancé en 2017, suite à la première édition du Festival Yelen, organisé par l’association Solidarité Afrique Farafina de Mireille Keita-Gilgien. « Durant le festival, on a préparé une fondue dans une marmite africaine. C’était un moment magique, très drôle, où tout le monde s’est ouvert. C’est de là qu’est née l’idée d’amener à faire fusionner les cuisines d’origines différentes », se rappelle Mireille Keita-Gilgien, les yeux encore brillants à l’évocation de ce souvenir. La démarche elle-même est symbolique. Ouvrir les portes de chez soi et accueillir, du côté de la famille hôte. Apporter quelque chose, faire découvrir sa culture et un peu de soi, pour la famille reçue. Pour Mireille Keita, il était important que la famille migrante vienne avec ses courses. « C’est pour montrer qu’ils ne viennent pas les mains vides, mais avec un bagage. Sinon, il ne peut pas y avoir d’échange », explique-t-elle.
Changer les regards
Si la démarche séduit, au départ peu de familles osent franchir le pas. C’est notamment grâce aux photos et aux petites vidéos qu’elle réalise lors des rencontres que Mireille Keita-Gilgien parvient à motiver de nouvelles personnes. Elle imagine alors réaliser un documentaire, afin d’inspirer et briser la peur de l’inconnu. « C’est vraiment osé, parce que je ne suis pas réalisatrice ! », admet-t-elle. « Mais c’était important pour moi de montrer par les images que c’était faisable. L’impact est plus grand lorsqu’on voit les choses de ses yeux ». Trouver des familles qui acceptaient d’être filmées n’a pas été simple. Il s’agit d’ouvrir les portes de chez soi et de s’exposer devant des caméras. Pour convaincre les familles de l’importance de sa démarche, Mireille Keita-Gilgien a des arguments : se battre pour changer les regards, à la fois sur les personnes migrantes, mais aussi sur les Suisses. « Moi je sais qu’il y a de belles personnes dans ce pays. Mais beaucoup de migrants ont l’impression qu’ils sont regardés de travers, que la population n’aime pas les étrangers. Alors j’ai demandé à ces familles suisses si elles ne voulaient pas changer aussi ce regard qu’on portait sur les gens d’ici ».
« Bienvenue chez nous ! »
Une équipe de caméramen a donc suivi l’expérience vécue par ces familles. Les premiers échanges, bien qu’empreints de bienveillance, sont un peu timides, dans la retenue. Puis la porte de la cuisine s’ouvre, on déballe les sacs de course, on montre où se trouvent les couteaux, les casseroles, comment on allume les plaques. La confection du plat permet de s’ouvrir petit à petit, donne un prétexte. « Souvent les familles migrantes ont peur que leur repas ne plaise pas. C’est lié à l’acceptation pour eux, parce que si on n’aime pas leurs plats, c’est comme si on ne les acceptait pas eux », analyse Mireille Keita-Gilgien. Pourtant, dans les familles, on s’amuse plutôt des différences. Le petit Augustin s’étonne ainsi d’avoir le droit, exceptionnellement, de manger avec la main, provoquant les rires. Commençant comme une découverte culturelle et culinaire, les échanges évoluent doucement, au fil de la journée. De part et d’autre, on s’ouvre, d’un côté on sort un album de photos de mariage, de l’autre, sur un portable, celles de membres de la famille restés au pays.
L’émotion est palpable lors des séquences « interview ». « Une femme congolaise que je connais bien maintenant, a dit des choses devant la caméra qu’elle ne m’avait jamais confiées auparavant », raconte Mireille Keita-Gilgien.
Prochaines projections
L’expérience de devoir s’adapter à une nouvelle culture et d’être l’« étrangère », Mireille Keita-Gilgien l’a elle-même vécue en arrivant en Suisse en 2004. Depuis, elle n’a eu de cesse d’œuvrer pour favoriser les rencontres entre la Suisse et le Mali, son pays d’origine. Elle est également très investie dans la lutte contre le racisme et intervient souvent dans des classes pour transmettre aux jeunes générations les valeurs de tolérance et d’ouverture qui lui tiennent à cœur. « On ne peut pas demander à tout le monde d’ouvrir sa porte, les gens n’ont pas le temps. Mais si le documentaire peut permettre de créer une ouverture et de changer les regards, alors c’est déjà quelque chose », souligne-t-elle.
Le documentaire est à découvrir le 15 juin au temple d’Yverdon et le 17 juin à l’Hôtel de Ville de Baulmes. Précisons qu’il s’agit encore d’une première version, « longue », un montage final étant en cours pour adapter la durée du documentaire afin qu’il puisse être diffusé à la télévision.
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