L’arrivée de Denis Flageollet il y a presque un an fait souffler un vent de renouveau sur la manufacture emblématique de la mécanique d’art à Sainte-Croix. Des créations contemporaines voient le jour, tandis que le bâtiment est remodelé pour accueillir diverses activités, sous la bannière de l’Institut de la Mécanique d’Art.
« L’avenir économique de la manufacture Reuge, c’est vraiment la qualité et la capacité à proposer des produits de belle facture, avec une esthétique, et des fonctions qui donnent du rêve », défend Denis Flageollet, rencontré dans la vaste salle d’exposition des boîtes à musique. Le 23 février prochain, cela fera tout juste un an que De Bethune, conduite par le maître horloger, entrepreneur dans l’âme, est devenu actionnaire largement majoritaire de la fabrique qui remonte à 1865.
En moins d’un an, beaucoup de choses ont été réorganisées. À commencer par le bâtiment, géré par une société immobilière et trop vaste pour le présent et le futur des activités de Reuge. Il a accueilli le Centre de formation Mec Art, aménagé un atelier partagé, installé l’atelier de pendulettes De Bethune, libéré un espace loué à Van Cleef & Arpels qui y développera des automates joailliers, et réadapté les locaux de production et les bureaux. Le tout formant désormais l’Institut de la Mécanique d’Art (IM’A), qui a pour vocation de rassembler sous le même toit tous les savoir-faire liés à la mécanique d’art et à l’horlogerie artisanale, de les sauvegarder et de les faire évoluer, exprime en substance Denis Flageollet.
Amateurs de design
L’avenir de Reuge passe aussi par une diminution de la quantité de pièces manufacturées. La production des rouleaux relevés (pas goupillés) 22 lames et une partie des 36 lames est en passe d’être abandonnée. « On perdait plusieurs dizaines de francs par pièce fabriquée », note Denis Flageollet. Cependant, les machines, qui font partie du patrimoine de la région, seront conservées et resteront fonctionnelles. L’activité de lutherie, celle du plumage des oiseaux, la réalisation de certaines pièces mécaniques ainsi que la préparation des aciers pour la sonorité des boîtes à musique sont maintenant réalisées au sein de la société.
Denis Flageollet identifie un marché potentiel important, celui des amateurs de design, qui recherchent des produits qui s’harmonisent avec leur intérieur. La maison veut se concentrer sur le développement des pièces très techniques, exprime de son côté Clara Martin, directrice artistique de Reuge et cheffe de projet. Elle explique que l’héritage de la marque est repensé, les codes réinterprétés, et les trois premiers modèles sortis de mains expertes sont autant d’objets de contemplation, poétiques et magiques à la fois. La volonté d’intégrer le mouvement à la musique se traduit par la réinterprétation du « Slightly Windy », une pièce avec de véritables épis d’orge qui ondulent. Du mouvement aussi avec « Onko », un habillage en lames de bois réalisé par un luthier et qui s’ouvre délicatement. Pour « Liberté », les créateurs ont sorti l’oiseau chanteur de sa cage, la branche sur laquelle il est posé étant forgée à la main par Denis Flageollet. Le modèle, prévu pour être suspendu, intègre une horloge De Bethune sous son socle. L’entreprise planche sur la reproduction musicale de bruits naturels, comme le vent ou les pas dans la neige, elle travaille également la qualité du son et de nouveaux arrangements, expose Clara Martin.
Transmission
Le catalogue a été réduit de plus de moitié, à quinze à vingt pièces, réparties en trois catégories : les créations contemporaines comme « Slighty Windy » « Onko » et « Liberté », les oiseaux chanteurs, revisités ou en version classique, ainsi que les pièces traditionnelles à plusieurs rouleaux, avec de la marqueterie, des objets très recherchés au Japon.
« De Bethune soutient et tire Reuge au niveau technique. Tout le monde a envie d’aller de l’avant », souligne la directrice artistique. Venue du design, elle est titulaire d’un master en design industriel (Rennes) et d’un master en design for luxury and craftsmanship obtenu à l’École cantonale d’Art (ECAL), à Lausanne. La jeune conceptrice a visité différentes entreprises dans le secteur du luxe. « Jamais je n’ai rencontré une ouverture, un partage de savoirs comme ici », confie-t-elle.
Dans un premier temps, tout le personnel a été réengagé. Au bout de trois mois, quelques changements sont intervenus. Les anciens collaborateurs, titulaires de connaissances qu’ils sont seuls à détenir, travaillent désormais avec de jeunes engagés et ont également une mission de transmission. Aujourd’hui 27 personnes sont salariées par Reuge.
Au niveau administratif également, les choses ont bougé. « Nous avons intégré un parc informatique calqué sur celui de De Bethune, qui fonctionne bien. Tout est revu et repensé, il y a beaucoup de travail. Je me suis donné deux ans pour revenir à un fonctionnement en lien avec la vie d’aujourd’hui, non seulement économique mais aussi dans la recherche de clients et la communication », confie le maître à penser de Reuge.
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