« Rösti Man » prend sa retraite aux Preisettes

Ulrich Bliggenstorfer et sa fidèle collaboratrice Sylvette Besse ont fermé le chalet à fin octobre. Le patron passe la main après près de quatre décennies passées aux Preisettes. C. Carisey - A

Ulrich Bliggenstorfer passe la main après plus de trois décennies de fidélité. Son fameux rösti-pizza a régalé des milliers de personnes sur la terrasse ou bien au chaud dans le vénérable chalet des Preisettes.

« Nous avons encore du mal à y croire », souffle la responsable du service Sylvette Besse, venue aider Ulrich Bliggenstorfer à faire ses cartons. L’ambiance chagrine est à l’unisson de la météo. Le paysan-restaurateur, qui fêtera ses 65 ans au début de 2024, se détourne pour masquer l’émotion qui le gagne en triant les souvenirs personnels accumulés dans la cuisine. Il se reprend en se concentrant sur le pliage du foulard du Chœur des Yodleurs de Sainte-Croix dont il fait partie : « Je m’étais préparé. Cela fait sept ans que j’ai averti le propriétaire que j’arrêterai à la fin de l’été 2023 ». Et pourtant, le 22 octobre, avec la présence d’un orchestre, de sa famille et de nombreux amis chargés de cadeaux, Ulrich Bliggenstorfer a pleinement réalisé que c’était la dernière fois qu’ils étaient réunis dans le chalet où il avait tout donné de lui-même. Pour ses fils Alain et Charlie, c’est aussi une étape : « J’ai connu le chalet depuis mon enfance, c’était aussi un peu chez moi », confie Alain.

L’agriculture au cœur

Le sexagénaire retrace le parcours qui l’a conduit des environs de Kloten, où il est né, aux fourneaux des Preisettes. Il arrive en Suisse romande à Bussy-sur-Moudon, pour suivre un apprentissage agricole. Il restera trois ans, dans deux familles successives : « J’étais bien, il y avait toujours une demi-douzaine de jeunes filles suisses alémaniques au village ! ». Jusqu’au jour où son employeur lui signifie qu’il n’y a pas d’avenir pour lui sous son toit.

Le jeune paysan trouve ensuite un emploi à Fleurier, dans une ferme où le patron a perdu la vie. Il en partira pour suivre l’école d’agriculture à Bülach. De retour au Val de Travers, il rencontre dans un bal Sylvia, fille d’agriculteurs, qui deviendra sa femme.

Ulrich travaille pendant une dizaine d’années dans une entreprise de sanitaire et ferblanterie. Son métier de base lui manque et avec Sylvia, ils répondent à une petite annonce pour reprendre la gestion du restaurant des Preisettes et de 80 hectares de pâturages et de forêts. « Au début, nous avons servi des röstis jambon, des fondues et des croûtes au fromage ». Ils ont eu envie d’un mets signature, et c’est là qu’est venue l’idée du rösti-pizza, dont le succès ne s’est jamais démenti. Et le chef espère que les repreneurs le garderont à leur carte.

Rencontre de chefs

Et d’où vient le surnom de Rösti Man ? Ulrich Bliggenstorfer explique que c’est Pierrick Suter, le talentueux cuisinier du restaurant de la Gare de Lucens, qui le lui a donné. « Je l’ai connu alors qu’il était gamin, à Bussy-sur-Moudon, nous sommes allés manger chez lui et il est venu aux Preisettes », raconte le presque retraité. Frank Giovannini, de l’hôtel de Ville de Crissier, a également franchi les portes du chalet.

À l’instar des grands chefs, Ulrich Bliggenstorfer s’impose « discipline et rigueur, pour toujours faire au mieux ». Et cela ne va pas forcément de soi, par exemple quand la génératrice ne veut pas démarrer et que les clients arrivent par grappes. L’été 2023 a aussi été compliqué en raison d’une rupture du tandon d’achille. Diminué, le chef peut compter sur son beau-frère Beat Mathis, cuisinier retraité. Malgré tout, « c’était intense, il y avait énormément de monde, du fait aussi que c’était la dernière saison », rappelle Sylvette Besse. Elle explique qu’Ulrich Bliggenstorfer est un patron en or, qu’il ne crie jamais pour transmettre les commandes. Les deux travaillent côte à côte sans avoir besoin de se parler, suscitant l’admiration des habitués de la Stammtisch, amateurs de café Lutz ou autre « fruit » des robinets à schnaps. Les trois dernières saisons, Giorgina complétait l’équipe. Elle s’était vite adaptée à l’esprit de la maison. « Et elle savait compter, c’était devenu rare dans le métier », salue son employeur.

Pendant longtemps, le chef des Preisettes a tenu aussi des buvettes en hiver, dont celle du curling à Neuchâtel ou du ski-lift de Mauborget. Aujourd’hui, il sait déjà que les contacts avec les clients vont beaucoup lui manquer. Mais avant de laisser la place aux souvenirs, il a encore à régler la transmission de l’établissement, repris par deux frères de la Côte aux Fées, dont le fameux four à pain où il cuisait des miches dodues et odorantes qui ne restaient jamais longtemps dans la corbeille en osier. Il a également encore du bois à faire avant la neige.

L’été prochain, Ulrich Bliggensdorfer a bien envie d’aller découvrir un peu son pays, marcher avec les copains dans les Alpes, mais aussi dans les coins du Jura qu’il ne connaît pas. D’ici là, il devra guérir son pied, qui n’a pas eu le repos nécessaire. « C’est vrai que j’utilisais surtout les béquilles pour aller chez le physio ! ».

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