Frédy Haarpaintner s’est occupé des forêts bullatones pendant plus de trois décennies, le métier de bûcheron n’étant pourtant pas sa première vocation. À présent jeune retraité, il nous raconte son parcours de vie plutôt atypique.
Troisième garçon d’une fratrie de cinq, Frédy naît le 6 mai 1959 en République démocratique du Congo, appelée à l’époque Congo belge. Des années plus tôt, son père, Georges avait quitté Zürich pour partir à l’aventure, rejoindre un oncle qui vivait là-bas. Lors de son voyage en train, il rencontre Jany, une jeune espagnole catalane. C’est le coup de foudre et Jany rejoint Georges en Afrique centrale où ils tiendront un relais routier durant près de vingt ans. Début 1959, quand les émeutes éclatent pour l’indépendance du Congo, la famille Haarpaintner est séparée durant plusieurs mois. Les frères aînés partent les premiers en Espagne, rejoints plus tard par Jany et Frédy, puis finalement Georges. Réunie, la famille Haarpaintner vivra quelque temps à Zürich, puis Lausanne, avant de s’installer à Sainte-Croix en 1964, à la rue Centrale au-dessus de l’ancienne Migros. « Mon père avait trouvé du travail chez Paillard et connaissait la région par sa mère qui venait de L’Auberson », explique-t-il en ajoutant « nos liens avec l’Espagne et Zürich sont très importants pour moi. On aurait pu grandir dans un environnement multilingue, mais à l’époque cela ne se faisait pas, avec les premières années passées au Congo belge, la langue familiale est naturellement devenue le français ».
Besoin d’aventure
En 1974, après sa scolarité, Frédy effectue un apprentissage de confiseur-pâtissier à deux pas du domicile familial, chez Vohlwend, qui deviendra ensuite Künzi. En 1977, son CFC en poche, il part travailler à Londres dans une grande boulangerie de renom, tenue par un Suisse. Il y restera un an et demi, faisant des aller-retours en Suisse. Là-bas, il vit en colocation avec ses collègues, formant une petite communauté hétéroclite. « Je suis parti en Angleterre pour le football, la musique, les pubs et je n’avais vraiment pas l’impression de travailler ». Avant de s’en aller, il rencontre Martine, institutrice. « Durant cette période Martine venait me trouver et quand je lui ai dit que je voulais voyager pendant un an, elle a demandé une année sabbatique et m’a suivi ! ». En août 1979, le couple rejoint Londres avant de s’envoler, sacs au dos, pour Miami (USA). La passion de Frédy pour la musique les amène à Memphis puis Nashville. « On avait peu d’affaire et pas d’habits chauds, donc on est redescendus en Floride et de là on a pris un vol pour le Guatemala ». En bus et en stop, ils remontent la côte Pacifique en passant par Acapulco (Mexique), puis retournent aux USA par la Californie. A San Francisco, ils achètent une voiture et montent au Canada jusqu’à Vancouver. Depuis là ils traversent tout le pays jusqu’en Gaspésie, à l’Est du Québec. « Notre voyage s’est fait sans idée précise, au petit bonheur la chance ! On dormait dans des motels, des YMCA (auberge de jeunesses), dans la voiture et aussi chez l’habitant. On a vécu des choses incroyables. Lors de notre trajet en direction de Memphis, on s’est arrêté à Clarksdale, berceau du blues, dans l’état du Mississipi. A cette époque il n’y avait rien, juste un tout petit musée, mais la ville était encore divisée en deux, d’un côté les Blancs, de l’autre les Noirs. Pour nous c’était incroyable de voir que cela existait encore. Les gens n’avaient rien, mais nous accueillaient chez eux à bras ouverts », raconte-t-il, encore reconnaissant. Depuis le Québec, le couple redescend sur New York avant de rentrer en Suisse. « Le retour n’a pas été facile, il fallait retomber sur terre ! ». Martine reprend son travail d’institutrice et le couple s’installe à Epalinges. Frédy reprend du service chez Vohlwend, alors installé à Lausanne. « C’est là que mes problèmes d’allergies et d’eczémas ont commencé, il fallait que je change de métier. Je savais que je voulais travailler en extérieur, un stage de bûcheron m’a plu et j’ai été engagé comme apprenti à la ville de Lausanne ». Frédy et Martine se marient en 1984. En 1985 Frédy obtient son CFC de bûcheron, la même année le couple accueille leur première fille Audrey et emménage aux Rasses. En 1987, Aline vient agrandir la famille. En 1988, Frédy travaille chez Serge Gander durant une année, avant de rejoindre la commune de Bullet en 1989, pour remplacer Jacky Kohler, retraité.
Évolution en forêt
À cette époque, le travail de bûcheron se fait à la tâche. Frédy travaille avec René Peter de plus de vingt ans son aîné. « Il y avait une grande solidarité entre employés, car on se partageait le salaire selon les mètres cubes débités. C’était un statut d’indépendant, avec une grande liberté, mais il fallait bien gérer, car quand le bois dormait en forêt plusieurs mois, on ne touchait qu’un acompte jusqu’à ce qu’il soit complètement débité ». Quand c’est au tour de René Peter de prendre sa retraite, la commune fait appel à Serge Gander pour seconder Frédy lors des coupes, puis plusieurs bûcherons se succèderont. « Ce n’était pas une période facile, car dans ce métier, le travail en équipe est primordial ».
Après la tempête Lothar fin 1999, les choses ont changé dans le métier. « Il y avait trop d’accidents, le travail à la tâche a été remplacé par le salaire horaire puis, au bout de deux ans, par le salaire mensuel. Les choses étaient très différentes. Quand René Guex est arrivé, ce fut la révolution ! Faisant partie de la nouvelle génération formée à l’école de garde forestier, il a modernisé et fait évoluer les conditions de travail de toute l’équipe communale. Auparavant, l’exploitation des forêts rapportait aux communes, rien ne se perdait. Maintenant on fait surtout de la gestion de patrimoine plus que de l’exploitation », raconte celui qui avoue n’avoir jamais été un bûcheron dans l’âme, mais qui a effectué son activité avec passion, aimant être dans la nature et la voir évoluer au fil des saisons. « C’est la nature qui décide comment tu vas travailler. Dans une commune c’est très varié, avec d’autres tâches en hiver, ce qui me convenait bien, je n’aurais pas voulu faire du bois toute l’année. C’est aussi un métier physique où il faut rester en forme ».
Sports et musique
Dès l’enfance, Frédy joue au football dans plusieurs clubs. Quand entraînements et matches deviennent moins compatibles avec sa vie de famille, il passe au vélo de route. Tout en participant à des compétitions, il s’entraîne le dimanche aux aurores et peut ainsi passer le reste de la journée en famille, avalant près de 10’000 km par année. Plus récemment il s’est mis au badminton et a repris la présidence du club sainte-crix. Son autre passion, la musique, vient de sa maman. « C’était une très bonne pianiste, elle a essayé de nous apprendre le piano, mais avec mes frères, on préférait jouer au foot ! Nos parents étaient vraiment cools, ils ne nous ont jamais forcés, mais la musique a toujours été vitale pour moi ». Après avoir gratté un peu à l’adolescence, Frédy se remet à la guitare à la quarantaine. « C’est Martine qui l’a ressortie pour prendre des cours et ça m’a donné envie ». Avec quelques amis, ils forment le groupe After Midnight. « C’est parti comme ça, je jouais les morceaux que j’aimais écouter, il fallait un chanteur, je m’y suis mis, ça reste un beau divertissement », sourit Frédy, appréciant chacune de ses passions qui lui ont permis de tisser de belles amitiés et différents liens sociaux, importants pour sortir de la routine journalière.
Retraite paisible ?
« Je n’ai pas l’impression d’être à la retraite, mais en vacances ! » rigole le soixantenaire qui a une pensée particulière pour ses anciens collègues en entendant les chasse-neigeaux aurores... « Avec une maison on a toujours de quoi bricoler, il faut prendre le temps de faire les choses, sans avoir un planning trop chargé », confie Frédy, se réjouissant de donner plus de son temps à ses hobbies et à sa famille, particulièrement à ses quatre petits-enfants (bientôt cinq) âgés de cinq à sept ans. Martine et Frédy repartent aussi volontiers à l’aventure à vélo « il faut profiter, mais simplement, je n’ai pas envie de partir à l’autre bout de la planète, il y a de belles choses à découvrir en Suisse et dans les pays voisins ! », conclut le jeune retraité sourire aux lèvres.
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