Bien que considérée comme réussie, la collaboration entre l’Établissement Vaudois d’Accueil des Migrants et le centre Ming Shan ne s’étendra pas une année supplémentaire.
Un « super bilan », voilà comment Fabrice Jordan, directeur du centre taoïste Ming Shan, décrit ces deux années de partenariat avec l’EVAM. Le 28 mars 2024, les derniers bénéficiaires qui résidaient dans ce foyer à Bullet ont quitté les lieux, non sans s’être retrouvés une dernière fois pour une fête d’adieu pleine d’émotion. Il faut dire que certains d’entre eux, comme Svitlana, une Ukrainienne de 80 ans, ont vécu au centre depuis son ouverture il y a deux ans. La plupart, quel que soit le temps qu’ils y ont séjourné, ont simplement le sentiment d’avoir vécu une expérience unique dans ce foyer EVAM pas comme les autres (voir encadré).
Un centre d’accueil « quatre étoiles »
Ouvert le 1er avril 2022 pour répondre à l’arrivée de réfugiés ukrainiens fuyant la guerre, le centre d’accueil Ming Shan aura finalement vu 156 personnes de toutes nationalités y bénéficier d’un accueil haut de gamme. « Beaucoup d’anciens résidents disaient que c’était le meilleur centre EVAM », rapporte Andreas Zurbrügg, responsable des foyers de Bullet et de Sainte-Croix. Et pour cause : des chambres pour deux personnes avec salle de bains privative – une exception au regard des standards d’autres foyers –, un lieu de vie calme en pleine nature, avec une vue dégagée sur les Alpes, et un réfectoire avec des repas préparés trois fois par jour.
C’est que le centre taoïste, ouvert en octobre 2019, destinait à la base ses chambres à être occupées par des clients souhaitant suivre des formations ou effectuer une retraite au vert, tout en étudiant la philosophie chinoise taoïste. C’était sans compter le Covid venu jouer les trouble-fêtes en mars de l’année suivante. « On a pu rouvrir en juin, mais l’impact majeur c’est qu’on comptait inviter des enseignants chinois qui étaient bloqués par les restrictions dans leur pays », explique Fabrice Jordan. Le centre accepte donc un partenariat avec l’EVAM afin de remplir une partie de son hôtellerie-restauration. « Cela a correspondu à un taux d’occupation de 50 %, globalement, durant cette période. L’EVAM payait l’équivalent, en moyenne, de la moitié du prix des prestations pour le logement et la restauration. Ils ont négocié le prix vu que c’était pour deux ans », explique le directeur. Un partenariat gagnant-gagnant, le Canton cherchant alors des solutions pour accueillir cette arrivée imprévue de réfugiés.
Petite structure d’une capacité d’accueil de 30 personnes (mais dans les faits, entre 20-25 personnes y résidant), le foyer de Bullet offrait des conditions privilégiées qui ont favorisé les liens entre les collaborateurs du centre et les bénéficiaires. « On se voyait beaucoup aux repas. Il y avait un côté familial. Une enfant est arrivée à l’âge de 1 an et on l’a vue grandir », décrit Fabrice Jordan.
Du côté de l’EVAM aussi on se réjouit de la collaboration. « Les bénéficiaires ont été bien accueillis et j’aimerais féliciter le centre Ming Shan pour son travail. On a écrit de jolies histoires », déclare Andreas Zurbrügg.
Décision de l’EVAM de ne pas prolonger
Avec aucun incident à déplorer, « mis à part les petites choses qui surviennent lorsque vous mettez 30 personnes dans un même lieu », selon Fabrice Jordan, on peut s’étonner donc que le contrat unissant les deux entités jusqu’en avril 2024 n’ait pas été prolongé. En effet, celui-ci prévoyait une extension possible d’une année. La décision de fermer le foyer à Ming Shan reviendrait à l’EVAM. « De notre côté, nous n’aurions pas eu de problème à prolonger le contrat », rapporte Fabrice Jordan. Le directeur reconnaît toutefois que, pour éviter que Ming Shan ne devienne assimilé à un centre d’accueil permanent, il était sans doute plus sage que le partenariat prenne fin. « Il faut faire preuve de pragmatisme. On était dans un besoin d’urgence et on a rempli le rôle humaniste que le centre se devait de jouer. Mais notre vocation est d’être un centre spirituel pas un centre d’accueil EVAM ».
La commune de Bullet se défend aussi d’avoir eu un quelconque rôle à jouer dans cette décision. « Ming Shan s’est proposé comme centre EVAM et, du moment que cela relève du privé, la commune n’a pas à mettre de veto. Et il n’était pas question de ça, parce que le nombre de personnes ne nous semblait pas disproportionné par rapport à la population locale », explique la syndique, Maude Schreyer. Les relations avec les habitants de Bullet se passaient bien par ailleurs, selon elle. Certains d’entre eux prenant même en stop des bénéficiaires de Ming Shan rentrant à pied hors des horaires des transports publics. « Leur présence amenait un petit peu plus de vie, c’était agréable de pouvoir les rencontrer et les saluer ». Mais si la commune ne fermera jamais la porte à une autre forme d’accueil à Bullet, d’après la syndique, celle-ci devrait rester « proportionnée » et être faite en évaluant les capacités des infrastructures.
Interrogé, Andreas Zurbrügg donne donc son explication : « L’EVAM a été attentif au message des Municipalités du Balcon du Jura qui demandaient une meilleure répartition des réfugiés dans le canton, ce qui a influencé notre décision de fermer le centre EVAM à Bullet ». Une manière ainsi de soigner le partenariat de l’EVAM avec les communes de la région en répondant à leur désir de diminuer le nombre de réfugiés, tandis que la pression migratoire reste forte et que des solutions hébergement sont toujours recherchées.
L’après
Les bénéficiaires qui résidaient au foyer à Ming Shan ont été répartis, en fonction de leurs projets personnels, vers la région du Grand Lausanne et dans la Broye. D’autres resteront à Sainte-Croix, en appartement ou au centre EVAM. Trois anciens bénéficiaires poursuivront un bout de chemin au centre Ming Shan puisqu’ils y ont été recrutés, en cuisine et à l’intendance, preuve encore des bons rapports établis. Tout le mois d’avril est consacré au nettoyage des lieux par l’EVAM.
Quant à Ming Shan, Fabrice Jordan indique que le centre reprendra ses activités initiales début juin, avec des semaines de ressourcement, des week-ends de stages et des prestations médicales. Sa réouverture officielle sera lancée par le « Festival international et interculturel des Arts du Tao ». Une manifestation gratuite, soutenue par la Commune de Bullet et l’ADNV, qui se tiendra du 24 au 26 mai prochain.
Davantage d’informations seront communiquées sur le site du centre : www.mingshan.ch
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