
avec Mme Corina Casanova.
© Photo : Sarah Baehler
« C’est la première fois que Sainte-Croix accueille une chancelière – ou un chancelier ! – de la Confédération », a d’entrée souligné M. Franklin Thévenaz, syndic de Sainte-Croix, saluant ensuite conseiller d’État, député et autorités communales.
Mme Corina Casanova a passé la journée sur le Balcon du Jura, visitant Reuge SA et de Bethune, avant de prendre un repas composé de produits locaux au CIMA, et de recevoir une boîte à musique Reuge offerte par la Commune.
Mme la chancelière est avocate, elle vient des Grisons et ses langues maternelle et paternelle sont deux des dialectes romanches; elle parle en outre sept autres langues, dont le français, ce que l’on a pu apprécier ! Elle a été déléguée de la Croix-Rouge en Afrique du Sud, en Angola et au Salvador, a travaillé au département des affaires étrangères. Elle est chancelière depuis 2011, celle qui « sait tout et ne dit rien ».
Mme Adeline Stern a accueilli Mme Casanova « dans le cercle des amis du cinéma » avant de présenter le film de Daniel Schmid choisi par la visiteuse : « Hors saison ». Le cinéaste romanche a réalisé en 1992 un film très autobiographique, contant le retour du narrateur dans l’hôtel où il a vécu son enfance.
Après la projection, c’est le journaliste Eric Hoesli qui a ouvert le dialogue avec Mme la chancelière.
On a parlé un peu du film : il fait écho aux souvenirs d’enfance de Mme Casanova, dont le père travaillait dans la grande hôtellerie grisonne. Elle a connu la transhumance saisonnière d’une telle activité et la proximité d’une clientèle d’autres pays avec laquelle il fallait savoir converser. La lenteur du film l’a frappée, autant que sa parenté avec les réalisations de Fellini et de Fassbinder. Eric Hoesli releva : « Cet hôtel est une allégorie de la Suisse comme vous, vous êtes une allégorie de la Suisse ! »
Corina Casanova répondit que, issu d’une minorité, romanche en l’occurrence, l’on est obligé d’apprendre les autres langues pour vivre. Si un sentiment d’infériorité demeure toujours, devoir s’adapter et communiquer dans d’autres langues est un avantage formidable pour pouvoir ensuite toujours tout comprendre ! Du coup, la conversation porta sur les langues en Suisse, et le romanche en particulier qui est une langue semi-officielle. C’est-à-dire que l’on peut s’adresser aux autorités fédérales en romanche et recevoir réponse en romanche, mais que tout n’est pas traduit dans cette langue, qui comprend cinq dialectes. C’est dans les années 30 que le romanche est devenu langue nationale, c’était alors « faire quelque chose pour le nationalisme suisse et le patriotisme » dit Mme Casanova, une initiative populaire acceptée avec plus de 90 pourcent des voix ! Aujourd’hui, 50’000 personnes parlent romanche, c’est une langue enseignée dans les écoles et l’on peut faire une maturité en romanche.
Interrogée ensuite sur son rôle, Mme Casanova indiqua que, si le Conseil fédéral dirige, la chancelière est son chef d’état-major. Elle gère l’ordre du jour du Conseil fédéral, assure la communication de ses décisions, les procès-verbaux, la suite à donner, la publication des lois, ordonnances et messages en trois langues le même jour chaque semaine.
La chancellerie est aussi responsable de l’organisation des votations fédérales, rédige les explications envoyées avec les bulletins de vote. C’est elle encore qui dépouille les signatures lors d’initiatives ou de référendums, qui prépare l’organisation des élections du Conseil national. Son rôle est stratégique pour soutenir le Conseil fédéral, la plupart du temps en coulisses. « C’est mieux si on ne parle pas trop de la chancellerie ! » Mme Casanova a 260 personnes sous ses ordres.
Quand on lui demanda pourquoi il y a si peu de chefs de services de l’administration non alémaniques, elle indiqua que cela dépend souvent des chefs de départements.
Puis on lui suggéra de conter une séance du Conseil fédéral. « C’est très formel ». La présidente ouvre séance, il y a un ordre strict de parole selon l’ancienneté. Celui qui a fait une proposition l’expose, puis répondent ceux qui ont fait des contre-propositions par écrit. « C’est un système avec réponse et réplique et duplique et machin et tout ! La chancellerie établit l’ordre du jour en tenant compte de tout ça. » La chancelière elle-même peut faire des propositions et des contre-rapports. Elle a voix consultative mais, dit-elle, « en principe je me limite a des questions de fonctionnements, de délais, pour que les choses jouent » et précisa : « Je ne fais pas de politique partisane, même si je suis PDC ». À la fin de la séance, les Conseillers fédéraux doivent trouver un consensus, prendre une décision. Ils gèrent parfois vingt affaires parfois cent vingt, ne discutent que s’il y a contestation. Si l’on ne trouve pas de point de vue commun, la décision est reportée. Les conseillers fédéraux se vouvoient en séance, personne d’autre n’entre dans la salle qui leur est réservée, si ce n’est la chancelière et deux vice-chanceliers. Puis les conseillers fédéraux prennent le repas ensemble – est c’est encore la chancellerie qui règle toutes les questions de sécurité, comme lorsque le Conseil fédéral part en course ou quand les conseillers fédéraux utilisent les transports en commun… ou le vélo, comme Uli Maurer !
« Mme Casanova est reconnue à Berne comme la défenseuse acharnée du droit des minorités », conclut M. Eric Hoesli, « elle l’a prouvé en venant à Sainte-Croix ! Et même si elle porte le même titre que Mme Merkel, Mme Casanova peut, elle, aller en Grèce sans se faire caillouter ! »
Puis la discussion se poursuivit de manière informelle lors de l’apéritif proposé par la Commune, qui a aussi gracieusement offert cette séance de cinéma hors du commun à la population.
smg
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