Dimanche 20 novembre marquera le coup d’envoi de la 22e édition de la Coupe du monde de football. Si la manifestation suscite cette année bien des controverses, elle continue toutefois à faire rêver de nombreux amateurs et passionnés du ballon rond. Tandis que footballeurs et entraîneurs sont sous le feu des projecteurs et accèdent, pour certains, au statut de stars internationales, d’autres professionnels œuvrent, eux, dans l’ombre pour permettre à leur équipe de toucher les étoiles. Mathieu Bigler, enseignant à Sainte-Croix, est également l’analyste vidéo de l’équipe nationale de la République centrafricaine. Portrait d’un amoureux du foot qui partage son temps entre l’Europe et l’Afrique.
Jour de semaine, rue des Métiers 3 à Sainte-Croix, Mathieu Bigler termine sa journée d’enseignement. Il rentre chez lui à Fleurier, au Val-de-Travers, où il passe quelques heures avec sa femme et ses deux filles. Puis, après avoir consacré du temps à sa famille, il s’installe devant son ordinateur et commence sa deuxième activité professionnelle : analyste vidéo pour une équipe nationale de football. Professionnel de l’ombre, mais devenu quasiment indispensable aujourd’hui dans tout club qui se respecte, l’analyste vidéo collecte et traite un nombre impressionnant de données grâce à des logiciels spécialisés très sophistiqués. Il en extrait les informations les plus pertinentes à restituer à l’entraîneur et aux joueurs, avant le match, à la mi-temps ou après la rencontre. Son travail permet de définir en amont une stratégie face à des adversaires, en analysant leurs forces et faiblesses, mais aussi à améliorer les performances individuelles et collectives des joueurs en vue de faire progresser l’équipe. Et l’équipe en question ici, c’est celle de la Centreafrique, pays situé au centre du continent africain, dont la superficie est équivalente à environ quinze fois celle de la Suisse.
Le foot dans la peau
C’est la passion pour le football qui a mené Mathieu Bigler sur les terrains en Afrique. « Comme chaque petit garçon qui aime le foot, je rêvais de devenir joueur. Mais j’ai vite compris que ça ne serait pas pour moi », raconte le trentenaire. Mais là où la plupart continuent à apprécier le football en amateur, lui ne cessera de s’intéresser aux métiers qui gravitent autour de ce sport. Alors qu’il travaille déjà dans l’enseignement depuis plusieurs années, il rencontre Raoul Savoy à la salle des maîtres. Le Sainte-Crix qui a fait des remplacements travaille déjà dans le milieu du football, celui dont rêve Mathieu Bigler. Les deux hommes parlent de leur passion commune, deviennent amis. « Je lui avais demandé comme service d’aller voir un joueur à Berne, et le rapport qu’il m’a fait était pertinent, professionnel et précis », se souvient Raoul Savoy. Mathieu Bigler décide de se former dans le domaine et peut compter sur son ami pour l’aider à mettre un pied sur le terrain. Il travaille durant un an et demi comme recruteur pour le Neuchâtel Xamax, puis enchaîne comme team manager adjoint, les jours de match. Il cesse à contrecœur cette activité qui lui prend beaucoup de temps les week-ends, mais enchaîne dans la foulée avec une formation d’agent de joueur à Lausanne. Il rejoint alors la structure de Lorenzo Falbo, agent vaudois, comme recruteur et prend peu à peu du grade, en devenant l’agent de certains joueurs.
De Sainte-Croix
à la Centreafrique
Mais le passionné ne s’arrête pas là. « La fonction d’analyste vidéo m’a toujours intéressé, car il y a l’aspect tactique qu’a l’entraîneur, une certaine importance au sein de l’équipe, sans les responsabilités qui peuvent être parfois pesantes. » La formation pour cette activité étant réservée en Suisse aux footballeurs retraités, Mathieu Bigler en suit une en ligne dispensée à Barcelone, qui combine les métiers d’entraîneur et d’analyste vidéo. Après quatre mois de cours, il réalise son travail personnel sur le match de quart de finale de la Coupe du monde 2018, France-Argentine. « Je pense que j’ai dû regarder la rencontre en intégralité une vingtaine de fois, cela représente facilement une centaine d’heures de travail. » C’est que le métier demande non seulement la maîtrise de logiciels pointus d’analyse, mais aussi des compétences techniques en montage vidéo. Une activité qui requiert un type de personnalité bien particulier. « Tout le monde n’est pas fait pour ça, admet Raoul Savoy, il faut très bien connaître le foot, être au point au niveau technologique, avoir beaucoup de patience, être très pragmatique, mais aussi savoir parler aux gens. Et Mathieu a tout ça ». En 2021, Raoul Savoy lui propose de devenir l’analyste vidéo pour l’équipe nationale de Centreafrique, pour laquelle il est lui-même sélectionneur, mais en travaillant depuis la Suisse. En mars 2022, il rejoint l’équipe de manière officielle, continuant à travailler essentiellement depuis la Suisse, où il conserve son activité d’enseignant, mais tout en se rendant en Afrique pour les stages de préparation de l’équipe (le stade du pays n’étant pas homologué, les stages d’entraînement doivent être effectués dans des pays voisins). « Pour un match, je compte entre 40 et 50 heures de travail, et quand on part en stage il y en a deux. Donc on approche facilement la centaine d’heures de préparation. Et sur place, il y a aussi du travail à faire », explique Mathieu Bigler, qui admet avoir dû réduire ses activités de loisirs et sociales pour pouvoir combiner ses deux activités professionnelles et ne pas négliger sa famille. « Ma femme a été tout de suite très emballée, contente pour moi que je puisse vivre cette expérience, découvrir des nouvelles choses, voyager. Elle était aussi ravie de voir que je partais avec le sourire, que c’est quelque chose qui me plaît énormément. »
Un seul sport, plusieurs réalités
Sur place, son ami Raoul lui fait confiance et lui confie rapidement des responsabilités. « Il me pose des questions et tient compte de mon avis. Lorsqu’on discute je ne sens pas de hiérarchie, ce qui ne se passe sûrement pas comme ça dans les autres sélections où les entraîneurs sont beaucoup plus directifs », rapporte Mathieu Bigler qui apprécie l’ambiance qui règne entre l’entraîneur, les joueurs et le staff. Son activité a de plus rapidement représenté une plus-value pour l’équipe qui n’avait pas d’analyste vidéo. « J’essaie de leur montrer des séquences qui durent entre 15 et 20 minutes, mais on n’a jamais réussi à faire moins d’une heure car il y a beaucoup de questions. Souvent, même s’ils évoluent au niveau international, les joueurs sont dans des clubs où les matches ne sont pas filmés et il n’y a pas d’analyste, donc ils ont peu l’occasion de se voir. » C’est que les réalités de cette équipe nationale sont à mille lieues de celles que peuvent connaître les clubs européens. « On s’est entraîné une fois sur le terrain adjacent d’une école. Deux cents enfants couraient dans tous les sens, et puis cinq minutes après il y avait l’entraînement d’une équipe nationale. Ce sont des choses inimaginables en Suisse », reconnaît-il. Si l’enseignant s’était déjà rendu en Afrique du Nord ou à l’île Maurice, il connaissait peu l’Afrique avant d’être recruté. Il a vite découvert que les choses se faisaient souvent avec les moyens du bord. Mais l’entrain des joueurs et le respect qu’ils témoignent à son égard et celui de l’entraîneur rendent les conditions de travail particulièrement agréables. Il faut dire que l’enseignant peut aussi compter sur ses qualités de pédagogue pour gérer un groupe et tisser des liens avec les joueurs. « J’apprécie beaucoup d’évoluer dans un groupe. Donc que ce soit avec des footballeurs africains ou des jeunes élèves de Sainte-Croix, il y a quand même pas mal de similitudes. »
Tous les espoirs sont permis
S’il est rémunéré, Mathieu Bigler reconnaît que cela lui coûte davantage pour voyager en Afrique. C’est donc la passion pour le football qui est sa source de motivation principale.
Pour les joueurs professionnels de Centrafrique qui n’ont pas nécessairement de contrat et vivent avec trois fois rien, le football représente souvent l’espoir de meilleures conditions de vie. Pour Raoul Savoy et son staff, l’objectif est d’amener l’équipe à se qualifier à la Coupe d’Afrique des nations, ce qu’elle n’a encore jamais réussi à faire. Pour cela, il faudra qu’elle batte Madagascar en mars prochain. Mathieu Bigler, lui, caresse le rêve de participer un jour à une Coupe du monde, mais espère surtout pouvoir continuer longtemps à se consacrer à sa passion.
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