En collaboration avec le professeur Vincent Bichet, de l’Université de Besançon, Murielle Montandon, du groupe de recherches archéologiques Caligae, a donné une conférence vendredi 27 mars à la salle communale. Avec pour thème des trouvailles prometteuses qui risquent bien de tordre le cou à certains éléments historiques que l’on tenait pour acquis depuis fort longtemps.
Quand l’homme s’est-il établi durablement dans le Haut-Jura ? Alors que sa présence est attestée dès le paléolithique (16’000 avant JC) dans les zones de plaine autant en Suisse qu’en France autour de la chaîne jurassienne, les historiens s’accordent pour situer les premières traces humaines agro-pastorales dans nos régions à partir du XIe siècle après JC. En effet ce serait à cette époque que, sous l’impulsion des moines de larges surfaces forestières auraient été défrichées pour faire place à l’agriculture et à l’élevage, puis, plus tardivement, à des activités sidérurgiques. Il semble a priori étonnant qu’il existe un si grand écart temporel entre des zones si proches les unes des autres, mais, en l’absence de preuves sur le terrain, les historiens sont arrivés à la conclusion que la chaîne du Haut-Jura n’était jusqu’au Moyen-Âge qu’un lieu de passage, comme en attestent les voies de communication qui remontent au moins à l’époque romaine, seuls vestiges tangibles mis au jour.
La géologie au service de l’archéologie
C’est dans un tout autre domaine scientifique que certains éléments troublants vont être découverts. Une équipe de géologues de L’Université de Besançon, dirigée par le professeur Vincent Bichet, a effectué des analyses des sédiments dans des lacs jurassiens, notamment celui de Saint-Point. L’avantage des sédiments d’un lac c’est qu’ils gardent la « mémoire » de tous les évènements, naturels ou anthropiques, qui ont eu lieu sur le bassin versant. Ainsi, les carottages ont révélé qu’à plusieurs périodes, la plus ancienne située aux alentours de 5’000 ans avant JC, les pollens d’arbres avaient diminué de façon significative alors qu’en parallèle ceux de graminées et de céréales avaient augmenté. Passe pour les graminées, mais il était difficile d’expliquer de façon naturelle la présence de céréales ! Surtout que les traces de celles-ci prennent de l’ampleur à partir du Moyen-Âge et que les pollens d’arbres régressent fortement, signe des grands défrichements entrepris par les moines et de la mise en place de pratiques agricoles à large échelle.
Il semblerait donc bien que des communautés humaines se soient installées au bord des lacs du Jura, pratiquant agriculture et élevage, et ceci depuis des temps très anciens. Mais alors pourquoi ne trouve-t-on pas de vestiges de ces activités ?
Entre autres hypothèses, cela peut s’expliquer par le fait que beaucoup de découvertes archéologiques ont lieu lors de construction d’infrastructures ou de bâtiments. Nos régions étant encore bien préservées du bétonnage et les surfaces forestières et en pâture considérables, les zones de recherches sont vastes. De plus, il arrive que des sites intéressants soient découverts à des endroits où l’on ne s’attendrait pas à une présence humaine, comme les abris sous roche dans les Gorges de Covatannaz qui ont servi de lieux de culte très fréquentés. Il faut donc apprendre à lire le terrain avec un regard nouveau, oser échafauder des hypothèses qui sortent des sentiers battus et remettre en question l’Histoire officielle !
Confirmation d’activités humaines dès la Préhistoire sur la haute chaîne du Jura
À Sainte-Croix, le groupe Caligae, composé de passionnés d’histoire régionale et surtout de grands connaisseurs du terrain, compte à son actif de nombreuses découvertes importantes ; lieux de culte du Bas-Empire romain dans les Gorges de Covatannaz, installations militaires datant du 1er siècle avant JC au Col des Étroits, clous de chaussures tout au long des voies de communication, qui indiquent que ces passages sont empruntés depuis fort longtemps. Peu à peu, le groupe a acquis une certaine pratique et continue de progresser ; les dernières découvertes, même si elles doivent encore être validées par des spécialistes, sont prometteuses. Ainsi, le groupe s’intéresse à l’industrie minière dans la région de L’Auberson, qui pourrait dévoiler des activités dès le premier âge du Fer et peut-être durant la période gallo-romaine. Les éléments abandonnés dans le sol lors des activités en relation avec la sidérurgie sont de précieux marqueurs identifiables par les spécialistes. Ainsi, des scories de forges et de bas-fourneaux, de même qu’un minerai « très spécial » délivreront leurs secrets prochainement et une nouvelle page d’histoire se réécrira peut-être !
Collaboration franco-suisse
Après bientôt dix ans de recherches, les sites et les objets archéologiques découverts concernent plusieurs communes limitrophes à celle de Sainte-Croix. La France voisine est aussi bien entendu concernée par ce potentiel historique, ne serait-ce que par les axes empruntés permettant de relier les plateaux entre eux. Une collaboration transfrontalière s’est aujourd’hui créée, notamment avec l’Université de Franche-Comté et le CNRS (centre national de la recherche scientifique en France) et de nombreuses thématiques vont être étudiées.
Les terres jurassiennes réservent encore bien des surprises et les générations futures se plongeront dans leurs livres d’histoire avec un regard certainement bien différent du nôtre.
Texte et photos : M. Guinet
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