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 N° 2941 - Vendredi 27 mars 2020 Tous ménages 13 AGRONOMIE - LES ALPAGES DOIVENT S'ADAPTER À L'ÉVOLUTION DU CLIMAT ET À LEUR ATTRAIT POUR LE PUBLIC
Faire face à moins d’eau et à plus de touristes
         Texte : C. Dubois
Les changements climatiques ainsi que l’essor et la multiplicité de la pratique des sports en montagne forcent les éleveurs
et les bergers à des adaptations qui ne vont pas de soi. « Il y a
des solutions, et de la place pour tout le monde », assure Jean- Bruno Wettstein. Interview.
Travailleur infatigable, Jean- Bruno Wettstein est aussi un homme de réflexion et de vision. Son activité le place aux premières loges pour lire l’évolution du cli- mat, qu’il complète par l’analyse des modèles climatiques calcu- lés par Agroscope. « D’ici 2030 à 2040, relève-t-il, nous aurons 15 % de précipitations en moins en été, ce qui aura des incidences sur la quantité d’herbage à disposition ».
JSCE : Faudra-t-il réduire les troupeaux ?
J-B.W:Lesujetestunpeu tabou. Une diminution des trou- peaux ne signifie pas beaucoup moins de travail pour l’exploitant de l’alpage, mais à coup sûr une réduction du revenu. Des paysans réfléchissent à plusieurs scéna- rios. Certains disent : « on monte de plus en plus tôt au printemps, nos bêtes mangent la bonne herbe et puis on redescend ». Mais il faut qu’en bas, il y ait le fourrage nécessaire. Le Mont-de-Baulmes par exemple ne peut pas exister sans des exploitations à Sainte- Croix à l’année.
Quelles solutions pour dispo- ser tout de même d’eau en suffi- sance pour les troupeaux ?
L’approvisionnement en eau a été de tout temps un point crucial dans le massif karstique du Jura. Certaines combes éloignées des chalets n’étaient pas pâturées,faute d’eau à disposition des bêtes. Il y a une quarantaine d’années, j’ai fait construire le premier étang bâché du Jura vaudois, peut-être même de Suisse, au Cerney. Un trou de 170 à 200 cm de profondeur a
A. Müller - A
Un étang bâché du Mont-de-Baulmes. Ici celui du Cul des Murs d'une capacité de 100 m3 qui alimente les trois bassins du pâturage adjacent.
été creusé sur une grande surface. Cet impluvium récolte les eaux de pluie durant toute l’année, en général 1'300 à 1'660 litres d’eau par m2 selon l’altitude. J’avais vu en France les premiers étangs bâchés, à partir de là, j’ai toujours cherché à améliorer la technique, et à inté- grer ces ouvrages dans le paysage. Nous avons beaucoup amélioré aussi le captage de sources et le relevage de l’eau avec des pompes. Maintenant se pose la question de l’évaporation de l’eau dans les étangs à ciel ouvert. On arrive à des températures de 30, voire 32 degrés à plus de 1'000 mètres, c’est nouveau. Jusqu’en 2015, la température maximale à Sainte- Croix était de 27 degrés. Et là, nous avons eu 30 et plus.
Autre facteur d’évolution, la cohabitation avec les sportifs. Que constatez-vous ?
Au Suchet en été, par exemple, il y a les VTT, les promeneurs et les parapentes. Cela a fait énor- mément de monde et pour le berger et le bétail, ce n’est pas tous les jours facile. Nos alpages ne doivent pas devenir un ter- rain de jeu à la Disneyland. Si
la Constitution garantit à tout un chacun le droit de se prome- ner à pied dans les forêts et les pâturages, les touristes doivent aussi être conscients qu’ils sont sur le territoire de personnes qui y travaillent. L’évolution vers un tourisme quatre saisons s’accom- pagnera peut-être de nouveaux métiers. Par exemple la gestion des pistes de toutes sortes l’été, les clôtures et les passages. Il y a aussi toute la problématique des vaches allaitantes ou des chiens de trou- peaux, pour laquelle nous n’avons pas toutes les réponses.
Le Jura vaudois a aussi un énorme potentiel aussi pour les cavaliers, comme dans les Franches-Montagnes. Mais là aussi, cela passe par la concerta- tion de tous les acteurs.
L’ouverture des chalets d’al- page au tourisme est-il une opportunité ou une contrainte ?
Cela peut être une opportunité pour tout ce qui concerne la vente directe là où c’est possible. Dès le moment où nos buvettes d’alpage vendent des produits locaux ou de la région, pour l’image de nos alpages, c’est très bien. Mais pro-
mouvoir l’accueil, savoir proposer ses produits, les apprêter, peut être amélioré. C’est aussi l’opportunité, à travers divers canaux d’informa- tion, dont la presse, de montrer ce qu’est le travail à l’alpage. Sur la commune de Fiez, un projet se met en place aux Grandsonnaz (Dessus et Dessous), propriété de la commune Grandson, avec un nouvel exploitant à partir de cette année. Je suis optimiste pour notre avenir dans le Jura. Nous avons un grand territoire très apprécié, il faut savoir l’utiliser et le promouvoir.
 Carte d'identité
Jean-Bruno Wettstein
Né le 4 février 1950 à Genève, dans une fratrie de 4 enfants
Scolarité obligatoire à Genève, puis maturité aux États-Unis et études d’agronomie au Poly de Zürich (actuelle EPFZ). Trilingue.
Marié à Anne-Dominique. Trois enfants : Manon, Perrine et Lucas, et deux petits-enfants (bientôt trois).
Arrivée à Bullet, puis à Sainte- Croix à la fin des années huitante








































































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