Vingt années à garder nos frontières

‘« Petit déjà, quand j’allais aux champignons avec mon papa, j’étais impressioné par le passage du mur ! », confie François Anselmo. © V. Duvoisin

François Anselmo entame sa troisième année à la tête du poste frontière de Vallorbe. Un long parcours au sein du corps des garde-frontière qu’il débuta il y a tout juste vingt ans. Une activité qui a aussi beaucoup évolué en peu de temps. Nous l’avons suivi pendant une journée, durant laquelle il nous a fait découvrir les facettes d’un métier finalement peu connu. En effet, il est bien loin le temps où l’on passait la frontière de la Grand’Borne en guettant le signe que nous faisaient les douaniers suisses et français, en guise de laissez-passer...

Arrivés à la douane de Vallorbe, François Anselmo nous accueille du haut de ses 1m90, dans son uniforme bleu-noir. Sourire aux lèvres, c’est avec enthousiasme qu’il nous fait faire une visite complète des lieux, avant de rejoindre son bureau situé au troisième étage du bâtiment locatif, qui accueillait jadis les appartements des douaniers. Lumineux, avec une vue dégagée sur le trafic frontalier, c’est là, à l’écart de la frénésie des va-et-vient, que le chef des lieux nous raconte son parcours. Né à Sainte-Croix le 6 novembre 1976, François passe le début de son enfance au quartier des Anémones puis à Clos-Murisaz, où ses parents reprennent l’intendance de la colonie de Küssnacht. Dès 1993, il effectue un apprentissage de monteur électricien chez Velen à Yverdon sur quatre ans. Durant cette période il s’investit pour la Maison des Jeunes et de la Culture, en reprenant la présidence de 1993 à 1998. « C’était l’année de transition, on quittait la rue du Jura pour le local situé à côté du cinéma. J’ai entrepris les démarches avec les autorités, effectué les travaux dans les nouveaux locaux, avant de remettre les clés », se souvient François. Quand il obtient son CFC en 1997, il sait déjà qu’il ne continuera pas dans cette voie.

Une ascension pas à pas

Entre 1997 et 1998, François effectue son école de recrue à Colombier puis enchaîne avec l’école de sous-officier à Chamblon. Durant l’armée, une présentation sur le métier de garde-frontière l’interpelle et il décide de passer les tests. « L’examen sportif est déterminant, tout comme la taille ou le fait d’être daltonien sont des critères éliminatoires », précise-t-il. Janvier 1999, il commence sa formation professionnelle de garde-frontière. Durant un an, il effectue six mois de théorie à Liestal (BS), entrecoupés par six mois de pratique au poste frontière du Col France (NE). Le jeune aspirant passe son examen théorique à Liestal et l’examen pratique à Genève. « C’était irréel », se souvient-il, « on a interpellé un gars qui venait d’avouer avoir tué sa femme ! Je le vois encore fumer sa clope, comme si rien ne s’était passé ! ». Examens réussis, en janvier 2000 il est affecté au Col France. En mai 2004, il demande son transfert au poste de l’Auberson, où il restera deux ans et demi, jusqu’à sa fermeture. « C’était parfait ! On était cinq agents, un travail hyper varié où j’aimais beaucoup le contact avec les habitants, les meilleurs souvenirs ! ». Après l’entrée en vigueur d’INNOVA, soit la réorganisation au sein du corps des garde-frontière au 1er janvier 2007, le poste de L’Auberson fusionne avec les postes mobile et route de Vallorbe, qui avait déjà englobé l’ancien poste du Brassus. L’agent Anselmo fait le choix de rester dans le canton de Vaud et part à Vallorbe. C’est là qu’il grimpe petit à petit les échelons. « Chaque grade obtenu demande une postulation » précise celui qui a fait un parcours sans faute. En 2013 il passe chef d’engagement et obtient le grade de sergent, puis sergent-major suppléant du chef de poste fin 2014. Suite au départ à la retraite de son supérieur, il postule encore une fois et devient, le 1er janvier 2017, le nouveau chef de poste avec le grade d’adjudant.

Un travail complexe

La Suisse est divisée en sept régions frontalières. Celle de Vallorbe fait partie de la Région V, regroupant Vaud et Valais. Dans sa fonction de chef de poste, François prend les compétences opérationnelles de la Région V, six semaines par ans. Période durant laquelle il doit être atteignable 24h/24h et ne doit pas s’éloigner de sa zone de compétence allant de Gondo (Haut-Valais) à L’Auberson. Depuis 2017, les garde-frontière sont assermentés avec les compétences policières. Deux casquettes pas toujours faciles à gérer « ça donne plus de devoir que de droit » confie François. Lors d’un contrôle douanier, les garde-frontière ont par exemple le devoir d’amender les automobilistes, une compétence peu connue du grand public.

Dans son rôle de chef de poste, il s’occupe de tout l’administratif, ressources humaines, planification, répartition des tâches. Il est responsable des résultats effectués et de tout le matériel. Malheureusement, il y a aussi des tâches plus pénibles. « En l’espace de trois mois nous avons perdu deux collègues tragiquement, alors qu’ils pratiquaient leurs passions », raconte celui qui doit vider les affaires personnelles du deuxième garde-frontière décédé il y a tout juste une semaine. Pour continuer sa progression, l’adjudant Anselmo part en formation plusieurs semaines par an. Cette année il commencera son brevet fédéral supérieur, indispensable au chef de poste. Un travail de diplôme qu’il fera sur son temps privé. Pas toujours facile pour lui, et son épouse qui porte aussi l’uniforme, de concilier vie professionnelle et vie privée, avec leurs trois enfants âgés de 7 à 12 ans.

« Il n’y a pas de limite à la bêtise ! »

« On voit de tout lors d’un simple contrôle et il y a de moins en moins le respect de l’uniforme », explique François avant d’ajouter « ça n’est pas toujours facile d’aller dans l’intimité des gens lors des fouilles, mais rien n’est privé à la douane. C’est un pouvoir qu’il faut utiliser à bon escient avec toute la retenue à avoir ». Il n’est donc pas rare qu’un contrôle dérape et que les garde-frontière subissent des insultes ou doivent faire face à ceux qui se mettent tout nu pour protester ! « C’est un métier où il faut être capable d’imaginer ce qui n’est pas imaginable ! » précise-t-il. « Les infracteurs en tous genres ont un temps d’avance, ça évolue vite et l’on doit évoluer en même temps ». L’adaptation est primordiale et les évènements montent rapidement en crescendo. « Un contrôle standard peut vite devenir un cas lourd. Il n’y a pas de limite à la bêtise. Nous avons vu des délits de fuite où les conducteurs commettent plusieurs infractions graves, pour une infraction mineure à la base ! ». 

Proche de ses collaborateurs

Avec ses nouvelles fonctions, le chef de poste a moins de contact avec la population. Mais c’est aussi volontiers qu’il se rend sur le terrain, ce qu’il préfère. C’est donc tout naturellement qu’il nous emmène à la Grand’Borne où ses collègues se sont postés. L’occasion pour nous de leur demander quel type de chef est l’adjudant Anselmo ? « On a travaillé avec lui en tant qu’agent et il n’a pas changé, il aime être sur le terrain. On a de la chance, il est là en retrait, mais on sait qu’on peut compter sur lui », confie Florian Amy. « C’est un bon chef, très humain, qui nous laisse prendre des initiatives. On est libre, il ne va pas venir nous épier », renchérit Laurent Otz. Emu, François répond simplement « j’essaie d’être le chef que j’aurai voulu avoir, j’ai connu ça à l’Auberson », avant de conclure « je ne leur demande rien que je ne ferai pas ». C’est là que nous prenons congé de lui et de ses collègues. S’ils peuvent sembler moins visibles qu’avant, les garde-frontière sont sur le terrain plus que jamais et leurs saisies sont nombreuses, même si elles se font discrètes dans les médias...

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