Lors des émeutes du 8 janvier 2023 au palais présidentiel du Planalto, à Brasilia, une horloge exceptionnelle du XVIIIe siècle, signée Martinot, fut gravement endommagée. Ce trésor horloger, témoin du raffinement franco-portugais, a retrouvé son éclat grâce à une restauration minutieuse menée à Sainte-Croix, dans l’atelier de Dominique Mouret. Le maître horloger, entouré de son collaborateur Nicolas Uhl, a relevé un défi technique d’envergure, avec le soutien d’Audemars Piguet.
Le 8 janvier 2023, le palais présidentiel du Planalto, à Brasilia, est pris d'assaut par des partisans de Bolsonaro, dans le contexte de l'élection présidentielle remportée par Lula. Un dommage collatéral fut entre autres un cartel exceptionnel, témoin de l’histoire royale franco-portugaise. Renversée et gravement endommagée par les émeutiers, cette pièce unique du XVIIIe siècle, signée par la prestigieuse dynastie horlogère Martinot, nécessitait une restauration minutieuse et experte. Confectionné à Paris vers 1720, ce cartel aurait été offert par la Cour de France au roi du Portugal avant d’être emmené à Rio. Aujourd’hui, seules deux pièces de ce type sont connues à travers le monde, conférant à cet objet une valeur patrimoniale inestimable.
Face à l’ampleur des dégâts et à l’urgence de la situation, la Suisse a facilité la mise en relation entre les autorités brésiliennes et la Manufacture Audemars Piguet. Consciente de l’importance de ce patrimoine, celle-ci a apporté son expertise technique ainsi qu’un soutien financier complet à la restauration du cartel. Grâce à cette synergie, l’atelier de Dominique Mouret, reconnu pour son savoir-faire exceptionnel, a été sollicité pour diriger cet ambitieux projet de conservation. L’horloge a ainsi été remise entre les mains expertes du maître horloger, établi à Sainte-Croix depuis quarante ans.
Un atelier ancré dans le temps
Pousser la porte de l’atelier de Dominique Mouret, c’est entrer dans un univers où le temps ne s’arrête pas, mais se soigne. Ce lieu, plus qu’un espace de restauration, est un sanctuaire vivant, un pont entre hier et demain. Parmi des cages à oiseaux chanteurs, des pendules séculaires et des tabatières à oiseaux siffleurs, chaque objet raconte une histoire et témoigne d’un savoir-faire ancestral.
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ce travail titanesque ne mobilise pas une armée d’artisans, mais un duo de passionnés : Dominique Mouret, virtuose de la restauration, et Nicolas Uhl, son collaborateur surmotivé depuis huit ans. « On pourrait penser qu’il faut être nombreux pour relever de grands défis, mais ce n’est pas la quantité qui compte, c’est la réflexion », souligne Dominique Mouret. « De la réflexion naît l’action. »
Une restauration hors du commun
La restauration du cartel Martinot fut un véritable défi. Initialement prévue sur quatorze mois, elle a finalement été achevée sur neuf seulement, grâce à l’ingéniosité et à la rigueur des deux horlogers penduliers. Ce type d’horloge murale, souvent richement décorée, était conçu pour être fixé directement au mur ou posé sur un support assorti. Très en vogue aux XVIIe et XVIIIe siècles, le cartel n’était pas qu’un simple instrument de mesure du temps : il était une véritable œuvre d’art, symbole de prestige et de savoir-faire horloger.
Dominique Mouret et Nicolas Uhl ont ainsi joué le rôle de maîtres d’œuvre tout au long du projet, supervisant un éventail de métiers rares — ébéniste, marqueteur, bronzier, doreur, restaurateur d’émaux, souffleur de verre — œuvrant avec une précision extrême pour redonner au cartel son éclat d’antan, tout en préservant sa patine.
Parmi les défis majeurs figurait la restauration de la statue de Jupiter trônant au sommet du cartel, ainsi que celle des ornements en bronze, gravement déformés. Les redresser sans les chauffer relevait du tour de force. Cela a été rendu possible grâce à une méthodologie rigoureuse et une patience infinie. « Redresseur de bronze, ça n’existe pas comme métier », sourit Nicolas Uhl. « Il faut chercher, tester, optimaliser… C’est ce qui rend ce travail passionnant : donner vie à ce qui semblait irréalisable. »
« Nous avons respecté les délais, tenu le cap et, surtout, donné du temps au temps », confie Dominique Mouret.
Un savoir-faire d’exception
Prendre en charge horloges et pendules anciennes ne se résume pas à restaurer un mécanisme : c’est une histoire à perpétuer. Chaque pièce doit être appréhendée dans son contexte d’origine, car il n’existe aucun mode d’emploi universel : chaque époque et chaque atelier avaient leurs propres standards. Comme l’explique Dominique Mouret, « il faut parfois recréer totalement une pièce disparue — une roue dentée, une aiguille, ou même une simple vis ».
Dans son atelier, des ouvrages horlogers s’empilent du sol au plafond. Des milliers d’études, de traités et de notes manuscrites, souvent ponctués de marque-pages, forment une véritable bibliothèque du temps, où certains volumes remontent au XVIIe siècle. C’est de cette richesse documentaire que Dominique se nourrit pour étudier, réfléchir et élaborer les techniques adaptées à la restauration de ces trésors.
Avant l’avènement du système métrique, chaque horloger utilisait un filetage unique, rendant toute standardisation impossible. Reproduire une vis du XVIIIe siècle et son passé spécifique exige ainsi un travail d’orfèvre et une connaissance intime des techniques anciennes.
Une passion née de l’histoire
Originaire de France, Dominique Mouret a étudié à l’École d’Horlogerie d’Anet, à Dreux. C’est au contact d’un directeur féru d’histoire qu’il découvre la restauration horlogère, qui deviendra sa vocation. « En trois mois, j’étais passionné », se souvient-il. « J’ai fait l’acquisition de mes premières horloges, montres anciennes et livres à l’âge de seize ans. »
En 1985, il ouvre son propre atelier à Sainte-Croix, dans le bâtiment des artisans au sein du Centre international de mécanique d’art (CIMA). Quatre ans plus tard, il fonde en parallèle avec François-Paul Journe, Pascal Courteault et d'autres, Techniques Horlogères Appliquées (THA), pour la fabrication de pendules dites sympathiques et d’objets horlogers de moyen volume.
Cette initiative va replacer Sainte-Croix sur la carte horlogère. En 1992, Dominique reprendra à plein temps son activité de restaurateur. Son approche, guidée par une quête constante d’excellence, se résume dans une maxime : « Je n’aime pas faire comme les autres. »
Depuis près de huit ans, Dominique transmet à Nicolas sa passion. Il n’est plus question de travail, mais de philosophie de vie. Suite à une formation de trois ans à l’École d’horlogerie de la ville de Pforzheim, le jeune Alsacien désireux d’apprendre le métier de pendulier rencontre Dominique et une collaboration se crée entre complicité et amitié. Le cartel du palais du Planalto est un bel exemple résultant du travail de cette équipe.
Une transmission essentielle
Le cartel Martinot, désormais de retour au palais présidentiel à Brasilia, incarne bien plus qu’une restauration réussie : il symbolise la préservation d’un patrimoine historique inestimable. Ce projet a été rendu possible grâce à la synergie entre des experts passionnés et le soutien indéfectible d’Audemars Piguet. Sébastian Vivas, directeur du musée Atelier Audemars Piguet, et Nikolaas Dockx, conservateur des savoir-faire, ont joué un rôle clé dans cette initiative, mettant en avant l’importance de la transmission des savoir-faire. Grâce à l’engagement de la Manufacture Audemars Piguet, l’intégralité des coûts a été prise en charge.
Dans l’atelier de Dominique Mouret, où chaque pièce restaurée écrit une nouvelle page d’histoire, le cartel Martinot a retrouvé son éclat, consacrant Sainte-Croix comme un haut lieu du patrimoine horloger mondial.
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