L’exploitation minière, dans notre région, n’a pas encore livré tous ses secrets, loin s’en faut ! C’est ce qui a été démontré, samedi dernier, par le groupe Caligae lors d’une visite de terrain des plus intéressantes. Ayant pour thème la découverte d’un hameau disparu et sa mise en lien probable avec le passé sidérurgique du Plateau des Granges, cette balade dans le temps a rassemblé plus de septante personnes.
Alors que l’importance de l’industrie du fer avait longtemps été sous-estimée par les historiens, les travaux du professeur Paul-Louis Pelet (Fer, charbon, acier dans le Pays de Vaud) ont démontré la formidable entreprise que cela avait représenté dans nos contrées. A l’Auberson, la découverte fortuite de l’entrée d’un puits de mine en 2011 et l’effondrement en cours d’un deuxième puits, a ravivé l’intérêt autour du sujet. En partenariat avec l’archéologie cantonale, le groupe Caligae poursuit ses recherches dans plusieurs secteurs. Des prospections assorties d’examen de documents anciens (archives, cartes, relevés cadastraux), d’étude de la toponymie, de lecture d’ouvrages spécialisés et d’échange d’informations avec d’autres passionnés.
Hameau disparu
« Chez Georges »
C’est sur une carte forestière de 1925 que l’on trouve la mention de ce hameau oublié, qui se situait sur le grand chemin de Sainte-Croix à Jougne. Huit structures de maisons, au moins, sont encore visibles aujourd’hui. Un mobilier assez riche et varié, rarement observé sur d’autres sites similaires, a été mis au jour, le plus exceptionnel étant un « demi-as républicain » de l’époque romaine. Les autres pièces de monnaies et objets découverts s’échelonnent des 12e au 18e siècles. Ces trouvailles renforcées par la proximité d’une source d’eau pérenne, permettent d’imaginer un lieu de passage très fréquenté, avec peut-être des échanges commerciaux et une bonne organisation sociale. Pour la période finale d’occupation, l’on sait, selon un document traitant de la généalogie des Jaques, qu’en 1854 les pierres «d’une ferme isolée, très ancienne et très vétuste» sise à Vers-chez-Georges ont été utilisées pour la construction d’une maison à L’Auberson.
La découverte de scories sur le site laisse supposer l’existence d’une éventuelle exploitation minière. Mais laquelle ? Si les indices n’indiquent pas de présence d’une forge ou d’un haut-fourneau, l’éventualité d’un bas-fourneau serait envisageable. Ce qui pourrait faire reculer la fréquentation des lieux à la période gallo-romaine ! Une période où, contrairement aux idées reçues, les activités humaines et en particulier les activités sidérurgiques sur le Haut-Jura, sont désormais largement attestées. Murielle Montandon livre d’ailleurs une information inédite aux visiteurs en leur présentant les images de trois «currency bars» trouvés dans la région de Sainte-Croix. Les « currency bars » sont des lingots de fer préformés de tradition gauloise et ceux-ci semblent avoir été déposés en offrande.
Un cinquième
haut-fourneau
Parmi les révélations faites durant cette visite, il en est une de taille : la récente découverte, sur un ancien plan de 1760 environ, de la mention d’un haut-fourneau près de L’Auberson au lieu-dit la Beuffarde, en France. Celui-ci aurait été en fonction avant 1700 et aurait, dès lors, entraîné un déboisement conséquent. Les études de palynologie (analyse des spores et grains de pollen conservés dans les sédiments) entreprises en 2004 dans la tourbière de la Beuffarde, par la professeure Emilie Gauthier, apportent une foule d’informations sur les périodes d’anthropisation du Haut-Jura. Ces sondages par carottage confirment des défrichements importants, aux 15e et 16e siècles, probablement liés à une exploitation minière. Mme Gauthier, professeure d’archéologie et de paléoenvironnement à l’Université de Franche-Comté, ainsi que deux de ses collègues, MM. Hervé Richard, directeur de recherches au CNRS et Vincent Bichet, directeur du Master de Géologie Appliquée, étaient d’ailleurs présents lors de cette visite de terrain et ils ont pu apporter de précieux compléments d’informations. Une délégation des Grandes Forges de Vallorbe s’est également montrée fort intéressée par les recherches du groupe Caligae. Ainsi des contacts se nouent et des collaborations se mettent en place pour remonter lentement le fil du temps afin d’établir des parallèles et une continuité dans l’occupation de nos contrées et les activités de nos ancêtres. Tandis que l’on supposait, il y a encore peu, que la haute chaîne jurassienne n’avait été peuplée que tardivement, les prospections et les études en cours démontrent qu’il en a été tout autrement.
Texte et photo : P. Leuba
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