À Sainte-Croix depuis 2016, après un premier séjour entre 1998 et 2005, Xavier Veuthey entame, à 52 ans, une nouvelle vie, en se consacrant à sa passion pour les objets d’art ethnographiques.
Dans sa jeunesse, Xavier Veuthey abandonne ses études pour un job en Afrique, qui aurait dû être de courte durée. Il y restera 4 ans. Il devient directeur d’opérations logistiques pour un groupe suisse dont la clientèle de chercheurs - archéologues, botanistes, ethnologues et autres spécialistes des serpents - offre au jeune homme l’occasion de rencontres étonnantes et lui donne une ouverture nouvelle au monde.
Quelque trente ans plus tard, on retrouve Xavier à près de 50 ans, inscrit comme étudiant en ethnologie à l’Université de Neuchâtel. Il suit les cours d’Ellen Herz, qui agissent sur lui non seulement comme une révélation intellectuelle, mais quasi « physiologique », tant le plaisir qu’il éprouve à la découverte de cet univers est puissant. Il se dit qu’il aurait dû faire cela 15 ans plus tôt… et envisage désormais de passer un Bachelor, afin d’avoir l’occasion d’aller faire du « terrain » à l’étranger (Paris, Berlin ou encore l’Alaska, la Réunion, la Polynésie française).
Après son parcours professionnel en Afrique, Xavier Veuthey travaille près de 25 ans dans la haute technologie, au parc scientifique d’Yverdon et pour le groupe F2FX-Tabrasco, actif notamment dans le transfert des recherches en électronique du Commissariat français à l’énergie atomique vers des applications civiles. Entre-temps, il a eu deux filles d’un premier mariage, toutes deux passionnées de gastronomie : l’une a terminé l’École hôtelière et l’autre va entrer chez Bocuse !
Durant toutes ces années, Xavier Veuthey garde intact son intérêt pour la culture et l’ailleurs, tissant des liens avec tout un réseau d’artistes et de voyageurs (le plasticien François Burland ou le photographe Maximilien Bruggmann, pour ne citer qu’eux). De son côté, il continue de se passionner pour les objets d’art : comme hobby d’abord, en lisant et en essayant par lui-même d’acquérir des connaissances. Puis, dicté par les circonstances de la vie, il décide de faire le grand saut et s’installe à son compte, afin de vivre de sa passion.
L’histoire de Violetta Parra
Il y a parfois dans la vie des moments clefs, des tournants inattendus qui agissent comme de véritables détonateurs. Pour Xavier Veuthey, la rencontre avec Charles-Henri Favrod - photographe, journaliste et ancien directeur emblématique du Musée de l’Elysée à Lausanne - aura été déterminante. En 2019, il va s’occuper de la valorisation et de la mise en vente de tout le fonds non photographique de Favrod : une immense collection d’objets divers (africains souvent), de livres, de tableaux, de gravures et même de pipes ! Cet ensemble lui permettra d’entrer de plain-pied dans le monde des spécialistes de l’art et de tisser un réseau de connaissances professionnelles.
Et c’est en fouillant dans les caves du château de Saint-Prex, où vivait la famille Favrod, que Xavier Veuthey découvre la fameuse tapisserie de Violetta Parra, pliée dans une corbeille à linge. Il apprend alors qu’elle avait séjourné au château, recueillie par Charles-Henri et Marguerite - comme ils ont accueilli de nombreux artistes, voyageurs ou exilés politiques - et c’est justement dans l’une des pièces du donjon qu’elle a brodé, durant des mois, cette immense tapisserie qu’une émission de la télévision suisse romande a fait connaître en 1965 au public suisse et international. La population de Sainte-Croix aurait dû en profiter également : Xavier Veuthey tenait à montrer ce chef-d’œuvre oublié, d’autant plus lorsqu’il apprend que son ami Michel Bühler a un lien profond avec la famille Parra. Les événements toutefois se sont accélérés et le COVID 19 est arrivé à son tour : le moment était venu pour Xavier Veuthey de faire un choix, non seulement économique, mais surtout éthique, entre la vente à un collectionneur privé (sa première intention) ou la restitution à l’État chilien, qui a fait de l’artiste et chanteuse Violetta Parra une « icône » de sa culture, et souhaitait bien entendu retrouver cette œuvre.
Les objets « orphelins »
Comme un enfant abandonné par sa famille perd toute trace de son histoire personnelle et de son identité, il en va de même pour une grande partie des objets d’art. Disséminés de par le monde, ils se retrouvent détachés de leur source, de leur lieu de production, de leur auteur, sans trace ni documentation sur leur fabrication. On ne sait plus ce qu’ils sont, ce qu’ils représentaient autrefois, dans quel contexte ils s’inscrivaient : s’ils avaient une fonction sacrée, une signification sociale ou politique ? Ce constat vaut pour une peinture aborigène autant que pour un masque africain, un vase aztèque, une statuette asiatique ou inuite.
C’est ce travail, un peu à la manière d’un archiviste ou d’un détective, que tout collectionneur passionné - et à plus forte raison toute institution muséale - doit entreprendre en priorité : cela représente en quelque sorte la « fiche d’identité » d’une œuvre, d’importance au moins égale à sa restauration, sa conservation ou sa valorisation auprès du public. L’objet est un témoin de la vie, la nôtre comme celle des autres. Nous lui devons notre respect. Chacun d’entre nous en a fait l’expérience : lorsque l’on découvre en soi la passion pour un objet (quel qu’il soit), on comprend que sa valeur se situe au-delà des contingences strictement matérielles ou économiques. Car la fonction de l’art n’est-elle pas, justement, de nous relier à autre chose ?
Aujourd’hui, cette passion est la nouvelle vie de Xavier Veuthey, son présent et son horizon.
D. Corminbœuf
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