Il faisait nuit depuis un moment déjà, samedi dernier, lorsque se sont rassemblés les chanteurs, les musiciens et les auditeurs au temple de Sainte-Croix pour le concert organisé conjointement par l’Ensemble vocal de L’Auberson et le chœur A Cappella d’Yverdon, associé pour l’occasion à l’Orchestre des Variations Symphoniques sous la baguette de Luc Baghdassarian.
En cette période de l’année où l’obscurité est à son déploiement maximum, il nous a été proposé un moment de méditation sur la mort avec deux œuvres majeures du répertoire, à savoir le seizième Quatuor à cordes de Beethoven ainsi que le Requiem de Fauré.
Dans son ultime Quatuor, composé au crépuscule de sa vie, Beethoven a mis en scène dans le dernier mouvement le questionnement « Muss es sein ? » : « Cela doit-il être ? », suivi de la réponse lapidaire « Es muss sein ! » : « Cela doit être ! ». Rétrospectivement, en sachant qu’il mourra quelques mois après avoir composé cette pièce, la tentation est grande de voir là le dialogue du compositeur avec la mort elle-même qui s’apprête à venir le chercher, dernière rencontre avec ce destin qui l’a si souvent malmené. La tonalité de l’œuvre, tour à tour tragique, révoltée puis paisible et même finalement lumineuse, légère et humoristique, corroborerait en tous cas cette hypothèse. Cette musique vertigineuse donne l’impression d’être complètement désincarnée, de n’être plus que pur esprit, comme si Beethoven entendait déjà les sonorités de l’au-delà. L’œuvre s’achève sur des sons harmoniques d’une telle douceur qu’ils semblent avoir été dérobés au paradis. Le quatuor à cordes, composé des premiers pupitres de l’orchestre, nous en a offert une lecture à la fois intime, intense et extrêmement émouvante.
Le Requiem de Fauré a poursuivi en continuité cette atmosphère intime et solennelle. Il ne s’agit pas là d’une musique tonitruante comme a pu nous habituer Berlioz. Le sublime ici est d’un autre ordre, intérieur, tout en pudeur, sans pour autant être dénué de dramatisme, ce que les chanteurs et musiciens ont bien su mettre en valeur dans leur interprétation. Chose rare et qui est l’apanage des plus grands chefs, Luc Baghdassarian a dirigé le Requiem par cœur, sans partition. Il était comme habité par la musique, musique s’incarnant directement dans ses gestes et dans son regard. Cette attitude a magnifiquement inspiré les chanteurs et les musiciens qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes. La communion était belle à entendre et à voir. Imaginez bien, qu’après la dernière partie, intitulée in paradisium, nous ne pouvions être qu’aux anges et regretter que ce moment d’éternité suspendu soit déjà terminé. Sont à joindre aux félicitations les deux chefs de chœur, respectivement Renata Côte-Szopny pour l’Ensemble vocal de L’Auberson et Véronika Horber pour le chœur A Cappella d’Yverdon-les-Bains, qui ont préparé leur ensemble en amont d’une façon magistrale. Il ne nous reste plus qu’à espérer qu’une nouvelle collaboration de ce type se réitère le plus vite possible.
Au sortir du temple, ce soir-là, le ciel nocturne était parsemé d’étoiles et, en écho à l’harmonie céleste, les cœurs étaient comme illuminés.
Daniel Eisler
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