Avec la reprise de la manufacture Reuge, Denis Flageollet, maître horloger et cofondateur de De Bethune donne un coup d’accélérateur au rapprochement de deux métiers.
« Au début, il s’agissait d’avoir plus d’espace pour De Bethune, puis, lors de discussions avec Amr Alotaishan, l’ancien CEO de Reuge qui reste dans la société, nous sommes arrivés à la conclusion que nous pourrions avoir beaucoup de synergies ». De Bethune est devenu actionnaire majoritaire de Reuge et a repris 98 % du bâtiment.
Qu’est-ce-qui a été le déclencheur ?
D.F. Il y en a eu plusieurs. Un projet astronomique, le Mecavers (voir ci-dessous), qui m’aide à former les jeunes à l’atelier. Nous développons des mouvements d’horlogerie de pendulettes, et maintenant que l’on a plus d’espace, nous allons pouvoir recréer un atelier de pendulettes et d’objets horlogers, qui va être complémentaire de Reuge. Il y a aussi un côté émotionnel, l’envie que ce savoir-faire de boîte à musique qui dure depuis le début du 19e siècle à Sainte-Croix continue, c’était super important. J’ai vu toutes les possibilités de faire quelque chose d’incroyable et même si je me suis dit qu’après 60 ans il faut commencer à se calmer, je ne me suis pas vraiment calmé.
L’entreprise Reuge était vraiment en danger ?
Oui, il y a de nombreuses difficultés à résoudre mais tournons-nous vers l’avenir. Amr Alotaishan s’est investi dans Reuge, il a appris le français, la mécanique, les subtilités de la boîte à musique, mais malheureusement, il n’est pas du cru, et c’est toujours difficile et compliqué de sentir les finesses de tout cela. Il s’est donné corps et âme pendant des années et il a maintenu à bout de bras ce qui était possible de maintenir, avec sa connaissance et ses possibilités à lui. Il faut être reconnaissant à cette famille, sans elle Reuge n’existerait plus.
Qu’est-ce qui va changer ?
Nous arrivons avec une connaissance parfaite des métiers, du savoir-faire artisanal, de l’organisation des petites manufactures, du terreau de collaborateurs que l’on peut engager. Nous connaissons aussi parfaitement le type de formation que les jeunes reçoivent. Mais cela ne va pas être facile et cela va prendre du temps. Le plus important, dans un premier temps, c’est de donner de la vie et des choses à faire à ce bâtiment, qu’il devienne ce que Jean-Claude Biver appelle un temple de la mécanique d’art.+
Accueillir Mec-Art, c’est donc dans la logique des choses ?
Cela m’a paru une évidence dès que nous avons commencé les transactions pour le bâtiment. Nous avons agencé l’atelier en un mois et demi, et ouvert début avril pour les journées européennes des Métiers d’Art.
Il est nécessaire d’avoir non seulement un centre de formation, mais également un atelier partagé où tout est à disposition. Ce centre va rapprocher Reuge et les artisans, on tire mieux une charrette à plusieurs que tout seul.
Quelles influences aura ce rapprochement sur le type de produits réalisés par Reuge ?
Les synergies influencent toujours. Il faut donner un souffle nouveau à cette mécanique d’art, il est possible de le faire autour des automates, autour de la musique... Être réunis à plusieurs dans le même espace c’est une chance et cela va donner de l’énergie à tous, des envies, des idées, dont il ne peut sortir que du nouveau et du positif.
Nous devons aussi trouver une solution pour que les séries de petites musiques deviennent rentables. Je n’ai pas l’intention d’en perdre le savoir-faire, mais c’est vrai qu’il est très difficile de sortir une musique 22 ou 36 lames qui soit rentable. La culture des années 50-60 où les fabricants se battaient au niveau des prix est restée. Les augmentations subies depuis plusieurs dizaines d’années et d’autant plus ces derniers temps n’ont pas été reportées sur les prix de vente. Aujourd’hui c’est difficile de maintenir ces prix industriels, vu aussi que les quantités sont plus faibles.
Quel est le marché porteur, actuellement ?
Ce sont plutôt les grandes pièces spéciales, les pièces uniques, sur mesure, les pièces joaillières, qui impressionnent, surprennent, à l’heure actuelle et qui vont être porteuses à l’avenir. Après, peut-être aurons-nous une chance que cela se démocratise à nouveau. Aujourd’hui, les clients sont en Asie, au Japon, au Moyen-Orient, aux États-Unis, et très peu en Europe. Il y a plus de possibilités avec les grandes pièces, qui valent entre 20’000 et 200’000 francs, et même beaucoup plus pour des pièces uniques comme celles de Van Cleef & Arpels qui ont gagné un grand prix de l’horlogerie.
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