Il est 20h15. Dans la salle communale de Sainte-Croix les spectateurs, après avoir profité d’un petit verre de l’amitié au Foyer Alexei Jaccard, gentiment, prennent place. Cependant, malgré un public enthousiaste, beaucoup de sièges resteront froids…
Ce soir-là, ce sont quatre groupes d’accordéonistes hors pair qui viendront nous chatoyer les oreilles jusque tard dans la soirée.
Le premier groupe est unique au monde. C’est le moins que l’on puisse dire. D’ailleurs, « Meduoteran (le nom de ce groupe) est unique ! » , comme indiqué dans la brochure reçue à l’entrée, ne suffit, à mon humble avis, pas à exprimer la force mystique qui semble réunir ces deux jeunes hommes originaire respectivement de Turquie pour Taylan Arikan au baglama (luth anatolien) et Srdjan Vukasinovic de Serbie, muni de son accordéon unique au monde lui aussi car permettant au jeune passionné de produire des quarts de tons (vingt-quatre tons par octave). Les deux musiciens ont tous deux étudié à la Haute École de Musique et nous présentent une suite de morceaux issus de leur propre composition. Et le résultat de tout cela alors ? Je dirais… Merveilleusement explosif. Tout débute par un très long son qui est très loin de nous rappeler celui d’un accordéon et auquel vient s’ajouter celui du baglama, comme une voix isolée, perdue dans une haute et profonde grotte. Puis tout s’accélère, les mains s’agitent, s’affolent, dansent sur les cordes et les touches, pendant que les instruments dialoguent et s’interrompent. Petit à petit, musiciens et instruments ne font plus qu’un. Entraînants, entraînés, attachants et attachés… Mais pas à leur chaise. La musique finit par avoir raison de leurs jambes, et les voilà debout devant leur chaise, les yeux fermés, les jambes détachées de l’esprit. Par moments, Taylan Arikan vient mêler à cette mélodie de fête, de vie, de nostalgie et de presque Orient, son timbre de voix. On croirait assister à un huit mains. Ce n’est qu’à la fin de leur prestation que les deux amis remarquent qu’ils sont debout, acclamés par un public (certes petit) mais enchanté, tout comme eux.
Le prochain duo, composé d’une jeune femme et d’un jeune homme lituaniens et étudiant à la Haute École de Musique de Lausanne (en vue d’obtenir très prochainement leur master), se prénomme « Tutto a Dio » et leur composition (alto et accordéon) est la première et l’unique en Lituanie, une des plus rares dans le monde. À l’alto, Greta Staponkute et à l’accordéon Augustinas Rakauskas. Les deux génies du classique ont déjà beaucoup voyagé (Londres, Istanbul, Californie, Rome) et gagné divers concours de musique classique.
Sous nos applaudissements apparaît tout d’abord le jeune accordéoniste à la mèche rebelle qui suit de la tête les va et vient de la musique légèrement saccadée. Chemise blanche, chaussures laquées posées à 10h10 sur le sol, élégante prestance, puis pause. Petits tapotements légers sur les côtés de son instrument faisant apparaître la splendide musicienne à l’alto, parée d’une jupe de soie nacrée. Les deux musiciens se sourient et, ensemble, donnent vie à une musique passionnée, charnelle, aigre-douce et ombrageuse. Lui fougueux, elle malicieuse, le tout charmant. Un dernier sourire complice, un tonnerre d’applaudissements et puis l’entre-acte.
Un entre-acte pendant lequel nous profiterons « d’aller aux toilettes, de boire un verre, de discuter et de fumer sa cigarette », selon les dires de Claude-Alain Antonelli, secrétaire et caissier de l’« accordéon club des 100 » : doté d’un humour exquis et de connaissances dont tout le monde semble profiter ce soir-là, il est à l’aise dans le milieu musical.
Le prochain musicien est soliste et français. Il vient de Colmar et cette soirée est pour lui un peu comme une sorte de préparation d’examen. Son nom ? Maxime d’Errico. « L’examen » pour lequel il se prépare ? Le concours de niveau international Castellfidardo en Italie. Pourquoi n’est-il pas dans la brochure reçue à l’entrée ? Parce que le musicien qui était censé venir, Vince Abbricciante,est actuellement en tournée à Hong-Kong. L’excuse du siècle. Maxime d’Errico, lauréat au concours de Klingenthal (un concours de renommée internationale se tenant en Allemagne), nous présente ce soir-là (dans l’ordre) : Sarah’s Blues, écrit par une accordéoniste alsacienne qui a tout plaqué pour vendre des glaces ; un medley d’Edith Piaf ; deux morceaux de jazz (Take the Train et Paris Nord) suivi de Flèche d’Or, de Django Reinhardt et d’un tango inspiré d’accordéonistes russes et arrangé par Maxime d’Errico lui-même.
Le dernier groupe s’appelle Chälly-Buebe et vient du canton de Fribourg. Créé en 2010, il est composé des jeunes Patrick Sager (de la région bernoise), Mike Julmy, Kevin et Dylan Ruffieux. Si quelqu’un a eu le malheur de s’endormir avant la venue des Chälly-Buebe, j’espère pour lui qu’il a une bonne complémentaire ou alors qu’il n’est pas trop cardiaque. Derrière la percussion argentée, un grand drapeau noir sur lequel est dessiné une fleur d’edelweiss qui joint les pétale en signe « metal ». Le look de ces jeunes gens, en plus de leur énergie, de leur aisance et de leur sens du rythme, n’est pas en reste lui non-plus. Avec leurs bretelles rouges, leurs converses aux couleurs nationales et leurs petits accordéons, qui eut cru que l’accordéon pouvait avoir autant de succès qu’une guitare électrique ?
Merci aux organisateurs de ce gala et à tous les membres du « club des 100 » pour ce week-end riche en découvertes musicales en tous genres, merci au public chaleureux.