Le vraisemblable départ de la filière médiamatique, ancrée à Sainte-Croix depuis 1999 et à Yverdon-les-Bains dès 2008 suscite des réactions tant au niveau économique que politique.
Les acteurs économiques sainte-crix sont unanimes à faire part de leurs inquiétudes et de leur incompréhension à la perspective que la filière médiamatique du CPNV puisse quitter Sainte-Croix et Yverdon-les-Bains en 2027 pour s’installer à Payerne dans une école professionnelle encore à construire. Président de la SIC (société industrielle et commerciale), Joakim Junod dit pouvoir comprendre l’intention, mais estime que ce serait vraiment « dommageable » tant sur le plan économique que sur celui de l’image de Sainte-Croix, « la filière nous fait connaître loin à la ronde ». La formation phare (voir ci-après) assure des retombées non négligeables au niveau du logement, du commerce de détail et de la restauration.
Une estimation table sur 70 studios ou logements, souvent mis à disposition par des privés, occupés par des étudiants du CPNV toutes filières confondues. La moitié « pourrait se retrouver libres sur le marché », estime Philippe Gerber, de Transcréa. De son côté, Jean-Marc Jaccard loue cinq de ses neuf chambres à des étudiants en médiamatique. Il éprouve du ressentiment : « les gens se sont donné la peine d’aménager des chambres, et on va nous mettre devant le fait accompli, ce n’est pas correct ».
Incidences multiples
Le secteur de la restauration rapide, prisée par les étudiants, va pâtir. « C’est une clientèle importante, on mesure une grande différence de fréquentation pendant les vacances », précise en substance Christella Tandon, qui tient le Delicious Fried Chicken avec son mari.
Les boulangeries seraient également impactées par le départ de 250 étudiants. Olivier Jaccard, dit Taillaule, avance un manque à gagner d’environ 30 % pendant les vacances scolaires. « La semaine dernière, nous avons tiré la langue. Les affaires sont déjà difficiles dans le contexte de la hausse des prix de l’énergie, c’est usant. »
Les deux commerçants précités font part de leur incompréhension du scénario envisagé par le canton. « Nous travaillons avec l’ADNV pour attirer plus de monde à Sainte-Croix, et on nous enlève une partie de ce que nous avons », réagit Christella Tandon. Tandis qu’Olivier Jaccard souligne l’investissement de deniers communaux dans l’école des Métiers 3.
Du côté de Travys, le transfert de la formation de la médiamatique de Sainte-Croix vers Payerne, entraînerait une diminution entre 10 et 15 % du trafic et d’au moins 10 % des recettes, calculés sur une base journalière annuelle de 2000 voyageurs/jour, indique Marine Kerhoas, cheffe du Département Relation Client et Communication.
Ne pas lâcher
« Le CPNV, c’est une image de marque de Sainte-Croix », estime le président de la SIC, qui souligne : « Nous ne voulons pas lâcher une formation qui fonctionne, qui s’est développée – 28 étudiants à plein temps en 1999, 253 aujourd’hui et déjà cinq classes confirmées pour la rentrée de 2023 – et qui devra tout recommencer ailleurs.
Il ajoute : repartir avec deux classes de vingt élèves n’aura de loin pas le même apport, c’est utopique de penser qu’il y aura 200 élèves dans des filières à créer ». À titre personnel, il estime « qu’au lieu de compenser, il convient de garder ce qui existe et fonctionne bien ».
« La SIC est un relais entre ses membres et les autorités communales », explique Joakim Junod. « Nous avons besoin de connaître les arguments de nos membres pour aller plus loin dans la défense de leurs intérêts. Si nous ne prenons pas les devants, nous allons nous trouver face à un mur. »
Spécificité unique
Une bonne moitié des apprentis médiamaticiens en école vit sur le Balcon du Jura en période scolaire. Outre des chambres, des studios et des appartements en collocation, souvent mis à disposition par des privés, la Fondation du Balcon du Jura pour l’encadrement des élèves de l’école des métiers de Sainte-Croix propose 39 chambres réparties en huit logements, Les Habitats. Pierre-André Jeannin, responsable éducatif et pédagogique des Habitats depuis 15 ans souligne le côté unique de cette structure. Ils offrent une transition accompagnée et cadrée pour passer de la vie de famille à l’indépendance, avec du soutien scolaire en collaboration avec les enseignants, des activités sportives, culturelles et créatives, le tout pour 450 francs mensuels. Depuis 2003, ce sont 800 jeunes qui sont passés par cette maison d’accueil qui a pris place dans un bâtiment des anciennes usines Thorens.
Deux tiers des 39 jeunes qui vivent actuellement aux Habitats suivent la filière médiamatique. Des enquêtes de satisfaction menées depuis dix ans auprès des familles des locataires révèlent que 100 % des parents et 85 % des jeunes soutiennent et recommandent cette formule d’accompagnement, relève Pierre-André Jeannin.
À la perspective d’un départ de cette filière phare en 2027, Pierre-André Jeannin se dit très inquiet : « Sainte-Croix a fait preuve d’une merveilleuse résilience après la fermeture des usines Thorens et Paillard. L’histoire va-t-elle se répéter ? En outre, il a fait le calcul : pour un étudiant de Leysin, ou même de l’agglomération lausannoise, Payerne est tout autant décentré que Sainte-Croix. Beaucoup de parents nous disent chaque année qu’ils n’auraient pas laissé partir leur fils ou leur fille, venir seul-e étudier à Sainte-Croix si nous n’avions pas été là pour l’accueillir et l’encadrer. Le même problème va se répéter à Payerne, et il faudra construire une nouvelle école alors qu’ici, le bâtiment est neuf et a été aménagé de manière spécifique ».
Une formation phare
Enseignée depuis 1999 en version école à plein temps à Sainte-Croix, sous l’impulsion de Marcel Jubin, doyen de la filière, la médiamatique a fait souche sur le Balcon du Jura. Inauguré en 2017 en présence de la conseillère d’État Cesla Amarelle, le bâtiment Métiers 3 comporte un secteur spécialement aménagé et équipé pour l’enseignement de la communication digitale. Les effectifs de cette filière sont en augmentation régulière. Actuellement, 253 élèves y suivent un cursus de quatre ans, dont deux stages en entreprise. Tandis que 108 apprentis se forment en système dual sur le site d’Yverdon du CPNV. Du côté du personnel enseignant, 83 enseignants interviennent en médiamatique, l’équivalent de 61 EPT. « Quel que soit le scénario retenu quant à la localisation de la filière médiamatique, ces emplois ne sont absolument pas menacés », rassure Oriane Cochand, directrice du CPNV. Elle souligne que cette formation est dans l’air de son temps, notamment liée aux métiers du numérique, de la communication digitale et du développement à large échelle du e-commerce. CDb
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