Inauguré dans les locaux de Reuge, le Centre de la mécanique d’art, dédié à la formation et au partage de compétences, participe à l’évolution de savoir-faire ancestraux grâce aux nouvelles technologies.
Le fameux « esprit de Sainte-Croix », subtile alchimie de passion et d’attachement au geste parfait au service de créations enchantées a régné vendredi dernier, lors de l’inauguration du Centre de la mécanique d’art au sein de l’entreprise Reuge. Une centaine d’invités avait pris place entre les établis pour célébrer le premier printemps de Mec-Art. Denis Flageollet, maître horloger et co-fondateur de la manufacture horlogère De Béthune, et depuis quelques mois actionnaire majoritaire de Reuge, a rappelé en préambule que « Sainte-Croix est le seul endroit au monde où l’on maîtrise dans un espace géographique restreint l’ensemble des savoir-faire de la mécanique d’art et de l’horlogerie ».
Le patron de haute horlogerie Jean-Claude Biver, flamboyant parrain du Centre Mec-Art, a perçu une « atmosphère de cathédrale », mais aussi « de perfection qui amène vers Dieu et permet aux objets d’avoir une âme ». À l’adresse des nombreux créateurs présents – dont François Junod, Nicolas Court, Boris Masur, Victoire Halter, Renaud Lelièvre ou Bastien Chevalier pour ne citer qu’eux – il a eu ces éloges : « Vous maîtrisez tout ce qui ne se voit pas. La vraie qualité est invisible mais elle se perçoit par le rayonnement qu’elle dégage ». Et c’est avec amusement que le chef d’entreprise de haute horlogerie a procédé au couper de ruban avec …une bille. Insérée dans un tube, elle a actionné le mécanisme d’un automate chargé de l’opération.
De nombreuses fées se sont penchées sur le berceau du Centre-Mec Art. Denis Flageollet a relevé la générosité des institutions et entreprises comme Audemars Piguet, le CPNV, l’École technique de la Vallée de Joux, la Manufacture Reuge, la Commune de Sainte-Croix et le joailler Van Cleef & Arpels. Ce dernier poursuit depuis une quinzaine d’années une collaboration avec François Junod pour la production d’objets extraordinaires comme la Fée Ondine ou la Fontaine aux oiseaux, ou encore, pour l’édition 2023 de Watches and Wonders à Genève des pièces remarquées intitulées
« Floraison du Nénuphar » et
« Éveil du cyclamen ».
Essor exceptionnel
Directeur des opérations internationales et des métiers de Van Cleef & Arpels, Eric de Rocquigny a dit « son émotion et sa fierté de de participer à la création d’un nouveau métier qui permet de marier le mouvement, la musique et d’autres surprises à découvrir… Nous avons plein de choses à construire et je suis convaincu du futur. D’autres maisons vont nous accompagner, d’autres métiers vont apparaître, merci d’avoir cristallisé ce premier pas », a-t-il notamment souligné.
Lors de la table ronde « Écrire demain » qui a suivi l’inauguration officielle, Jean-Claude Biver est allé dans le même sens, voyant dans la mécanique d’art une partie du futur de l’horlogerie. « L’essor sera tout simplement exceptionnel lors des prochaines décennies », a-t-il prédit.
Une meilleure visibilité
Le Centre Mec-Art a une mission première, la formation, a rappelé Denis Flageollet. Avec des locaux dédiés, il sera possible d’allonger la formation Le Secret des Maîtres de quatre semaines à 42 ou 44 jours, ont annoncé Alain Dugon et Pierre Fellay, du CPNV. D’autres pistes, comme un brevet fédéral, sont envisagées. L’intérêt pour cette formation va croissant, il y a une liste d’attente pour la cinquième édition, agendée du 2 au 28 juillet 2023, le nombre de participants restant plafonné à huit.
L’âge moyen des participants de 2017 à 2022 était de 43,5 ans. Ils venaient majoritairement de Suisse (60 %) et étaient issus de métiers techniques (67 %). Des artistes, mais également des collectionneurs ou des personnes en reconversion professionnelle, ont fait le pas.
En revanche, les filières qui conduisent à la mécanique d’art manquent de visibilité. Denis Flageollet le déplore. « Nous avons en ce moment très très peu d’élèves en polymécanique au CPNV ». Selon Alain Dugon et Pierre Fellay, les orienteurs professionnels « ne comprennent pas tous les débouchés de ces métiers. Nos apprentis et nos techniciens utilisent aujourd’hui des techniques comme la numérisation 3D et la fabrication additive ».
« Ce qui nous intéresse, poursuit Denis Flageollet, c’est de pouvoir engager les jeunes à la sortie des écoles de mécanique ou d’horlogerie, et de les former encore pendant un temps, afin qu’ils apprennent les subtilités et les détails de la mécanique d’art.»
Créer des connections et des partages
Cinq installations interactives « Mechanical Marvels », exposées chez Reuge, ont été réalisées en partenariat avec des étudiants de l’ECAL et présentées à Venise dans le cadre de la prestigieuse exposition Homo Faber, Fiona Krüger, artiste, designer et professeur à l’ECAL, a évoqué l’émotion des visiteurs à la découverte des pièces de Mechanical Marvels : « Elles ont attiré de nombreuses personnes qui, même sans comprendre toute la mécanique qui les animait, en ont perçu la magie ». « De telles collaborations avec l’ECAL sont capitales pour préparer le renouveau de la Mec Art, et elles ne peuvent que se développer », a souligné Denis Flageollet. Lors de la table ronde « Écrire demain », qui s’est déroulée au cinéma Royal, Alexis Goergacopoulos, directeur de l’ECAL, a acquiescé : « il nous importe de créer des connexions, des partages de savoir entre designers et artisans et de conjuguer des expertises ».
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