Dans la pure tradition carnavalesque de la satire politique, le collectif de la BAZ a participé aux défilés avec une mise en scène du bras de fer entre les agriculteurs et la grande distribution. Pour leur première inscription au Carnaval, le collectif a créé un Géant orange qui a gagné le prix du meilleur groupe du samedi soir du Carnaval 2025. L’occasion de revenir sur le centre culturel autogéré qui a décidé de venir à la rencontre des habitants qui ne passent pas par chez lui.
Avec son prix, le jury du Carnaval a salué la création de la BAZ pour : l’originalité du traitement du thème de l’agriculture, le travail engagé dans le projet, et les lumières « qui donnaient bien dans la nuit du samedi soir » nous dit Karine Baumer. Les « Céréales Killers, le jury qui tranche ! » a aussi reconnu la provocation, piquante et décalée qui fait l’esprit du Carnaval. Pour le collectif c’est une joie d’être reconnu et salué autant pour son esprit critique que sa créativité.
Autour du Géant orange, toute une mise en scène : d’un côté les sbires de la grande distribution, avec des masques blancs, invitaient les passants à nourrir le Géant en lui lançant des fruits et des légumes, de l’autre côté, la biodiversité, personnifiée par les musiciens avec des masques d’animaux, incitait les passants à lui renvoyer ses denrées d’origine douteuse. Lors du défilé, le tableau a été complété de façon dramatique, par des personnes transportant un paysan mort gisant dans une charrette.
Cinq personnes pour manipuler le Géant et jouer ses sbires, une trentaine d’animaux, dont dix musiciens, ont défilé deux fois et ont réussi à terrifier les passants « sans faire pleurer les enfants », dit Souris qui jouait une des sbires.
Basée sur des matériaux recyclés, la fabrication du Géant et des masques devait prendre trois mois, à raison d’un jour de travail par semaine. Au final c’était « Beaucoup plus que ça ! », disent en chœur Souris, Garance et Olivier. « Olivier, c’était même jour et nuit », dit sa fille Garance. Pilou a fabriqué un premier prototype du Géant, petite structure métallique de 30 cm de haut. Après un deuxième prototype fabriqué par Souris, le collectif se lance dans la structure qui défilera les 15 et 16 février. Pour sa première participation au Carnaval, le collectif est passé par toutes les émotions que suscite un tel projet: enthousiasme et joie, un engagement en dents de scie et puis grand stress au moment où le compte à rebours touche à sa fin.
La BAZ, un espace culturel autogéré
Le collectif de la BAZ - pour Zone à bâtir - bâtit un projet culturel en gérant les espaces de l’ancienne usine Reuge. Les bâtiments occupés en 2019 font l’objet d’un contrat depuis quatre ans entre le propriétaire et le collectif.
Les vastes locaux abritent des ateliers communs de réparation de vélo, de bricolage, de travail du bois, un cinéma, une salle de boxe, fitness et pôle dance, une costumerie, une bibliothèque-boîte à livres et un free shop (un magasin de vêtements et vaisselle où tout est gratuit). Outre les œuvres des artistes qui y travaillent, on peut y voir deux expositions : Hallucinacorps qui réunit les costumes et engins fabriqués pour le court métrage de science-fiction « Call UFO's », ainsi que les peintures, sculptures et poèmes de Napo. Cet artiste s’identifiant comme « artiste carcéral » a été exposé au Centre d’art Contemporain d’Yverdon en 2019.
L’espace de rencontre est situé dans l’annexe de l’usine. Esther, se définissant comme « une satellite de la BAZ » dit aimer venir « se dépayser tout en restant à Sainte-Croix ». Pour décrire ce lieu et ce projet, Gaby résume : « Ici pas besoin de sous pour creuser la terre ou visser des planches », une manière d’illustrer qu’on peut faire beaucoup de chose sans argent pour autant qu’on s’organise.
L’espace culturel est autogéré, ce qui signifie que les décisions sont prises au consensus lors de la réunion du mardi soir, avant ou après un repas ouvert à tous. Pour participer et utiliser le lieu, il faut faire partie de l’association en s’annonçant sur place et en payant une cotisation à prix libre, ainsi que prendre connaissance de la charte et la respecter. Dans cette charte, disponible à la BAZ, on trouve par exemple :
«Le projet développe un modèle d’autogestion qui vise à assurer aux Associées une liberté individuelle la plus large possible et la plus exacte égalité de statut et de traitement par rapport aux autres Associées ». Un cadre ambitieux qui demande une rigueur dans l’effort de communication et d’attention portée à la fois au projet et à tous les utilisateurs du lieu.
Une volonté d'ouverture
Le matériel à disposition, l’espace ou encore les gens qui passent, facilitent la création. Ainsi, l’artiste Padrut Tachella travaille à la BAZ afin de préparer une performance avec des marionnettes/automates pour le MuMAPS.
Le collectif incite aussi les visiteurs à participer et peut-être à découvrir leurs habiletés créatives. C’est le cas des fresques créées à la pleine lune et des scènes libres les nuits de lune noire. Pour le Carnaval, un flyer a été dessiné pour inviter les visiteurs à se joindre à l’aventure.
« Rencontrer des gens, être inclusif, ça fait partie du projet de la BAZ », rapporte Olivier.
Alors si beaucoup de gens passent dans les bâtiments de la rue des Rasses, le collectif a aussi voulu aller à la rencontre d’autres habitants, ceux qui ont des aprioris ou qui sont intimidés par ce lieu. Le Marché d’été 2024 a constitué en cela une belle expérience qui les a incités à continuer sur cette lancée, en réitérant leur inscription pour le prochain Marché d’été et en participant au Carnaval, avec le succès que l’on sait.
Magali Feller
0