Vous avez soudain l’occasion d’arrêter le cours de votre existence, de prendre de la distance, et de l’analyser, comme un peintre et son tableau. Le feriez-vous ? Non ? C’est trop bizarre, dites-vous, trop absurde ? Oui, vous avez sûrement raison. La vie est absurde, d’ailleurs. Tout le monde sait ça. Alors à quoi bon se torturer à l’observer ? Ça n’aide pas à avancer !
Eh bien, Mesdames et Messieurs, vous êtes du même avis que Mr et Mrs Smith, que Mary, la bonne, que le capitaine des pompiers en quête de feu ainsi que Mr et Mrs Martin. Vous ne les connaissez pas ? Pourtant, ils vous ressemblent beaucoup. Quelques-uns d’entre vous êtes venus les rencontrer, ou plutôt les « observer » en venant nombreux pour la Cantatrice chauve, une pièce d’Eugène Ionesco réinventée par les brillants comédiens que sont les élèves du collège de Sainte-Croix, vendredi et samedi, à la salle communale.
Mr et Mrs Smith habitent dans la périphérie de Londres. Ils boivent de l’eau anglaise, lisent un journal anglais, parlent de ce qu’ils ont mangé, se taisent. Mrs Smith sont trois personnes assises sur un confortable canapé rouge. Mr. Smith, quant à lui, sont trois individus assis confortablement sur un fauteuil rouge. Non, inutile de relire cette phrase, vous avez bien vu… Ennuyeux, n’est-ce pas ? Bizarre et gênant peut-être même, à en juger les gloussements timides du public. Et pourtant ils ne font rien de mal, ils sont juste là, confortablement assis, comme vous, et s’ennuient, comme vous. Ils sont nombreux et portent des masques, comme vous ? Ils n’ont rien de particulier à se dire, comme nous ? Ils parlent de choses banales et oublient les choses importantes de la vie, comme nous tous ?
L’horloge retentit.
Le temps défile.
Et qu’en est-il de Mr et Mrs Martin ?
Ils se découvrent. Ils se sont vus dans le train. Ils vivent dans le même appartement, quelle coïncidence, chère Madame, cher Monsieur. Ils dorment dans le même lit. Comme c’est étrange, chère madame, cher Monsieur ! Ils se voient pour la première fois après vingt ans… Absurde mais si fréquent. Banal ?
Un chœur chante « Mr et Mrs Martin marquent leur destin délirant et vain » devant la scène. Sur la scène, il y a de l’action : une course de caddies, du jonglage, un rappeur, et des acrobaties sur trottinette. Des choses de la vie, quoi. Des choses banales. Des choses absurdes ?
Il se trouve que Mr et Mrs Smith sont amis avec Mr et Mrs Martin. Des amis mal assis sur leurs canapés, gênés par leur silence et embarrassés face aux anecdotes « palpitantes » de leurs amis... Qui ne le sont évidemment pas du tout.
Or, les amis quelquefois ont la fâcheuse tendance à se disputer, comme vous le savez bien. Voici l’objet de leur dispute : Y a-t-il oui ou non quelqu’un à la porte lorsque la sonnette retentit ?
Car c’est au bout de quatre retentissements seulement que le capitaine fait son apparition.
C’est sans intérêt, non ? C’est bête et absurde ? Mais pourtant, c’est une question simple, banale, pas compliquée et sans risque. Et si on analysait ? On pourrait imaginer que le capitaine en a mis, du temps, pour se faire voir. Quelle réalité est la plus intéressante ? Laquelle choisissez-vous ?
Le capitaine des pompiers demande s’il y a du feu à éteindre alors que le cœur de Mary s’enflamme pour lui.
Pendant la pièce, les garçons se transforment pour jouer des rôles féminins, et les filles se transforment pour jouer des rôles masculins. Les meubles sont renversés. Bref, c’est le monde à l’envers. Et dans nos têtes, tout se mélange, c’est la grosse pagaille. Le gros n’importe quoi. Et, comme nous le savons, c’est en faisant n’importe quoi…
J’aime mieux tuer un lapin que de chanter dans le jardin.
Kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes !
Quelle cacade ! Quelle cacade ! Quelle cacade ! Quelle cacade ! Quelle cacade ! Quelle cacade ! Quelle cacade ! Quelle cacade ! Quelle cacade ! Quelle cacade !
…Que l’on devient n’importe qui !
Comme Mr et Mrs Smith, Mr et Mrs Martin, Mary, et le capitaine des pompiers... Comme... Vous ?
Cette pièce fabuleusement interprétée par les collégiens sainte-crix nous a ouvert les yeux pour découvrir que « la vérité ne se trouve pas dans les livres mais dans la vie »… Et d’en rire aux éclats !
Bravo à tous les élèves pour votre magnifique prestation, pour votre délicieux repas et vos biscuits… À croquer !
Merci aux enseignants couturiers, musiciens, ébéniste pour carton, sans qui tout cela n’aurait pas eu lieu, et votre organisation rigoureuse.
Merci aux magnifiques musiciens et chanteurs qui se sont donné à fond !
Deborah Zäch
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