Les ossements peuvent-ils être photogéniques ? Au premier abord, la question paraît macabre. Avec “Martyrs, les reliques oubliées”, Carole Alkabes formule une réponse étonnante. Plus que la beauté esthétique des squelettes, son ouvrage publié chez Édition Favre invite à une réflexion universelle et fleurie sur la mort. Le vendredi 18 janvier, la Sainte-Crix a donné sa première conférence à la Bibliothèque de Sainte-Croix. Au cœur d’un moment vivant, truffé d’humour.
Le projet démarre il y a trois ans. Dans son studio, un crâne est sous les projecteurs. La photographe l’entoure d’un décor floral. Douceur féminine et ossement, est-ce une combinaison farfelue ? Pas forcément. Une amie lui parle d’une relique à Saint-Gall. « La découverte et l’histoire de ce corps fastidieusement mis en scène m’a remplie d’enthousiasme. » Le squelette provient des catacombes romaines.
Mis au jour au 16e siècle, les cimetières paléochrétiens se transforment rapidement en une terre fertile pour la papauté. Baptisés et accompagnés d’une notice biographique, les restes deviennent ceux des saints martyrs. Vendus et envoyés dans les lieux sacrés, ils sont vénérés. Durant 250 ans, ce commerce et culte de reliques fait fureur. L’arrivée d’un trésor religieux fait office de processions : les fêtes de translation. Habillés de tissus précieux, ornés de pâte de verre et bijoux puis entreposés dans des reliquaires majestueux, ces corps témoignent de la veine baroque. Les miracles induits par leur présence se multiplient.
Plus vivant que soupçonné
Depuis le 19e siècle, ces grabataires sont de moins en moins exposés puis même oubliés. Touchée par la richesse historique et visuelle, Carole crapahute à travers la Suisse à la recherche de ces illustres hommes et femmes. Plus de deux cent cinquante portes de monastères, églises et abbayes franchis. Un album perlé et unique voit le jour. « Ici et là, des restes morcelés. Plus fréquemment, des squelettes entiers. C’est entre autres grâce à la Garde Suisse que notre pays est truffé d’une vaste collection », explique-t-elle.
Au fil de sa conférence, les illustrations démontrent que cet univers est prédominé par l’or et le rouge. Les positions des protagonistes varient. « Les uns sont debouts. Les autres sont couchés comme à la plage. Il y a un côté paisible ». Aujourd’hui, maints sont cachés. « J’ai vu un crâne entreposé dans une boîte à chaussures, un coffret de l’époque encore scellé ou encore des reliques derrières des peintures. Parfois le curé ne se doutait pas de la présence d’un squelette antique », plaisante Carole. Elle observe que cette dynamique relate la place de la mort dans notre société. Plus qu’un évènement naturel, elle devient synonyme de déchirure couverte de silence, de tabou.
Par son livre ainsi que par sa conférence, la photographe invite à se questionner. Elle démontre que drôlerie et beauté font partie intégrante de la vie qui implique une fin.
Information pratique:
Martyrs, les reliques oubliées de Carole Alkabes est disponible en librairie.
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