Les montres présentées au Grand Prix de l’Horlogerie de Genève sont comparables à des œuvres d’art. Des pièces valant plusieurs dizaines, voire centaines, de milliers de francs qui rivalisent dans l’originalité, la qualité et la finesse de leur mécanisme. Le 10 novembre dernier, deux artisans basés à Sainte-Croix ont vu leur travail récompensé par le jury du GPHG, démontrant que le savoir-faire de la région a encore de beaux jours devant lui. François Junod et Sylvain Pinaud nous ont ouvert les portes de leur atelier.
La fabrique dans laquelle nous reçoit François Junod est à mille lieues du strass et des paillettes de la cérémonie du Grand Prix de l’Horlogerie de Genève. Ici, pas de chichi. L’ambiance est presque feutrée, évoquant le repère secret d’un fabricant de jouet… ou d’un savant fou. Des membres de corps d’automates – jambes, pieds, bras - sont suspendus au plafond. Sur une étagère trônent des bustes et des têtes aux visages si réalistes qu’ils semblent vous suivre des yeux. Aux murs, un foisonnement d’affiches, de dessins et de tableaux témoigne de la créativité de ses locataires. Sur des grandes tables de bois, tous les outils nécessaires à la confection des créatures automatisées se retrouvent dans ce qui semble, pour le regard extérieur, être un joyeux désordre. « Regardez, ça c’est le prototype des pattes des oiseaux », montre avec enthousiasme François Junod, faisant référence à l’œuvre du joailler Van Cleef & Arpels à laquelle il a collaboré avec son équipe. Sur la Fontaine aux oiseaux, grâce au savoir-faire de l’automatier, l’eau semble onduler avec délicatesse, un nénuphar s’ouvrir doucement, dévoilant une fleur sertie, une libellule bat de ses ailes d’argent et des oiseaux amoureux, à taille réelle, se déplacent, leurs pattes marchant (une prouesse !) le long de la vasque, tournent leur tête et se font un baiser. Un trésor de complexité et de beauté ayant nécessité quatre années de travail aux différents métiers qui y ont contribué, et qui a été récompensé par le Prix de l’Horloge Mécanique au GPHG.
La mécanique d’art de François Junod récompensée
Si le trophée a été remis au joailler français, le travail de François Junod et le savoir-faire de la région ont été salués lors de la cérémonie par le Directeur des Opérations et des Métiers de la marque, Eric de Rocquigny. « Notre espoir et notre rêve, et je pense qu’on va s’en donner les moyens, c’est que ces oiseaux sifflent un nouveau dynamisme dans la mécanique d’art et à Sainte-Croix en général ». Pour François Junod, les collaborations passées et celles à venir signent le retour des automates dans le monde de la haute joaillerie, l’association de deux savoirs-faire qui s’était perdue depuis les fameux œufs mécaniques de Fabergé. « Les automates, il y a 30 ans, ça ne valait pas grand-chose. On m’aurait dit il y a six ans que j’allais faire des fontaines avec des oiseaux, je n’y aurais pas cru. Là, cela devient un métier où on peut évoluer. C’est infini. ». Ces nouvelles possibilités et ce regain d’intérêt pour la mécanique d’art signifient un agrandissement des locaux pour l’artisan sainte-crix et une nouvelle offre de formation, ce savoir-faire complexe pouvant être considéré comme quasi-unique à la région.
Indirectement gagnant via la Fontaine aux oiseaux, François Junod s’est également vu remettre le trophée du Prix Spécial du jury qui récompense une personnalité, une institution ou une initiative ayant joué un rôle fondamental pour la promotion de l’horlogerie de qualité. « C’était tellement inattendu », raconte le lauréat. « J’ai toujours pensé que ce concours était pour les horlogers. Moi je fais des automates, donc je ne me sentais pas forcément légitime ». L’échange fécond entre les différents univers - horlogerie, joaillerie et mécanique d’art, n’a pas échappé aux yeux experts du jury, qui avait déjà pu admirer le talent de François Junod dans La Fée Ondine, une autre pièce d’horlogerie de Van Cleef & Arpels, d’une délicatesse et d’une beauté saisissantes.
Prix Révélation pour Sylvain Pinaud
Autre atelier, autre ambiance, à la ruelle de la Charmille, où Sylvain Pinaud s’est établi il y a un an. Entouré de deux collaborateurs, l’atmosphère est détendue, l’atelier, à taille humaine, loin des grosses structures horlogères que l’on retrouve non loin d’ici et que l’artisan a fui lorsque l’occasion s’est présentée. « Je ne me voyais pas faire ça toute ma vie, et je n’avais plus de plaisir à aller travailler ». Il profite de la délocalisation de l’entreprise de son dernier employeur pour démarrer son activité d’indépendant, il y a cinq ans. Le prix à payer est élevé pour ceux qui souhaitent se lancer, et les débuts, comme souvent, difficiles. Un local bien plus petit, des heures qu’on ne compte pas… Mais heureusement, la grande passion qu’il a pour l’horlogerie va finalement permettre à Sylvain Pinaud de percer, et les premières commandes de clients, qu’il qualifie de mécènes, de développer ses projets.
Le 10 novembre dernier, le Prix Révélation Horlogère du GPHG qui lui est décerné sonne comme une consécration… et un encouragement. « A la base, ce sont des clients qui m’ont inscrit au concours pour la catégorie montre Homme. J’ai accepté, mais je ne m’attendais pas du tout à gagner face à des marques bien établies », explique l’horloger. Face à lui et sa montre Origine, en effet des grands noms: Hermès, Parmigiani Fleurier, Bulgari, TAG Heuer… Attribué à une jeune marque (moins de dix ans d’existence depuis la commercialisation de sa première pièce), le prix confirme à l’artisan qu’il est sur la bonne voie. « Cela m’a pris trois ans et demi pour réaliser cette montre de A à Z, dont une pour concevoir un design qui me plaisait ». Le résultat est tout en élégance et en simplicité, avec la particularité que les rouages du mécanisme, généralement à l’arrière de la montre, se retrouvent ici, de manière équilibrée, sur le cadran. Une envie d’innover tout en restant dans la tradition, surtout au niveau de la composition. « Je voulais que les pièces soient solides, simples, fiables. Que si l’on a besoin de changer une pièce dans cent ans, on sache comment cela marche ».
Savoir où l’on va
Origine, nom à tiroir, symbolise plusieurs choses pour l’horloger : son souhait de réunir tout ce qu’il a acquis en termes d’expériences depuis ses débuts dans le métier, l’importance de comprendre d’où l’on vient pour savoir où l’on va… Originaire de Grenoble d’ailleurs, formé à l’horlogerie à Morteau, Sylvain Pinaud reconnaît que l’air du Nord vaudois lui convient particulièrement. « Je n’aurais jamais pu faire ce que j’ai fait si je n’avais pas été à Sainte-Croix. Il y a quelque chose ici, la collaboration avec la communauté des artisans, le calme qui règne est très inspirant. J’ai habité à Genève, j’ai habité ailleurs, mais c’est vraiment ici que je me sens le mieux ». D’ailleurs, ses collègues, François Junod, présent avec lui à la cérémonie, ou encore Denis Flageollet, horloger et membre cette année du jury du GPHG, pour ne citer qu’eux, se sont réjouis avec enthousiasme de sa victoire, confirmant la solidarité et la coopération qui règnent dans la petite communauté des artisans locaux.
Si Sylvain Pinaud n’est jamais loin de ses croquis en vue de futurs projets, il admet qu’aujourd’hui, l’objectif premier est d’honorer ses commandes, en augmentation depuis l’attribution du prix du GPHG. Il y a aujourd’hui deux ans d’attente pour celui qui souhaiterait acquérir une montre Origine.
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