Matthieu Sinisi vit à Londres depuis cinq ans. C’est là qu’il s’est formé pour vivre de son hobby, le graphisme 3D et les effets spéciaux. Mission accomplie pour le jeune homme qui a vu son nom apparaître au générique du film Outlaw King sorti récemment sur Netflix.
Matthieu Sinisi nous accueille dans l’appartement de sa maman, à la rue du Collège, où il revient tous les trois/quatre mois. Il est né le 29 décembre 1995 et a grandi à Sainte-Croix. En 2000, ses parents reprennent la ferme de Grangette Bellevue, en dessous du Mont des Cerfs. Il se souvient des rénovations de la vieille bâtisse et de la piste éclairée adjacente. « Enfant, j’y skiais tous les soirs ! Je chaussais mes skis devant la maison, c’était magique et c’est aussi là qu’à huit ans, je me suis cassé la jambe ! » se souvient Matthieu amusé. En 2011, il commence un apprentissage d’électronicien au CPNV. N’ayant jamais appris l’anglais, ses parents l’envoient trois semaines dans une école à Torquay au sud-est de l’Angleterre. « Je suis parti un peu sur un pari… quand j’ai dit à mes parents, sur le ton de la plaisanterie, que je pourrais voyager seul sans soucis, eux n’ont pas plaisanté en m’organisant le voyage. J’avais 15 ans et je parlais zéro mot d’anglais ! ».
Au CPNV, le côté manuel lui convient peu. Il arrête après un semestre et part apprendre les langues, effectuant deux mois à Freibourg en Allemagne, puis deux autres à Eastbourne au sud de Londres. En août 2012, il débute un apprentissage d’employé de commerce chez Philip Morris à Neuchâtel. Durant sa formation, il passe par le département de la communication et tout ce qui touche à l’édition, au graphisme et au visuel. C’est le déclic ! Matthieu qui a toujours été créatif, se prend de passion pour cette activité et se forme en autodidacte au graphisme 3D durant son temps libre. En 2015, son CFC en poche, il suit des cours d’infographie à Genève durant un an, tout en travaillant chez Philip Morris en parallèle. « Je rêvais de travailler dans les effets spéciaux et Londres est réputé au niveau européen, c’était là qu’il fallait être », raconte-t-il.
Expérience londonienne
« Quand je suis arrivé à Londres le 7 juillet 2017, je savais que j’y resterais ! », raconte Matthieu. Il intègre l’école Escape Studio où il se forme au compositing, soit l’assemblage final des plans et la finition, et où il prépare aussi son portfolio, indispensable carte de visite dans ce métier. « L’école collabore avec d’autres entreprises et nous avions beaucoup d’échanges, de stages et d’ateliers avec des personnes ayant travaillé sur les films tels que Star Wars ou Avengers, c’était passionnant ! ».
Si la formation intensive ne dure que dix-huit semaines, les étudiants ont accès à l’école durant un an afin de pouvoir utiliser le matériel et finaliser leur portfolio. L’école est aussi un bon tremplin pour entrer dans le monde professionnel, car les entreprises y viennent directement recruter. Début 2018, Matthieu s’installe pour de bon en colocation à Londres. Rapidement, il fait partie des collaborateurs du département effets spéciaux de la société Squint Opera, recrutés pour travailler sur le film Outlaw King. Le contrat est de quelques semaines, mais ce dernier lui ouvre une plus grande porte. Son responsable direct crée sa propre société Dupe VFX, spécialisée dans les effets spéciaux et Matthieu y est engagé pour six mois. Si, au début, ils ne sont que six personnes, dès 2019 l’entreprise s’agrandit, grâce au premier projet obtenu sur la série Netflix Sex Education, qui a rencontré un succès mondial auprès des jeunes.
En parallèle, la société obtient plusieurs autres projets de séries pour la BBC ou encore Sky Atlantic. C’est ainsi que le 1er janvier 2019, Matthieu est engagé en fixe. La société s’agrandit atteignant une quarantaine d’employés à fin 2019, dont beaucoup de freelances pour la série Gangs of London, puis pour le film Mon Amie Adèle, sur lequel il travaillera jusqu’au printemps 2020. « Nous avons juste terminé avant le COVID, ensuite on est redescendus à quinze personnes et le système a été développé pour que l’on puisse continuer en télétravail, ce qui n’était pas le cas avant ». Durant cette période, il commence à travailler sur le film Havoc, pour tout ce qui est de la production virtuelle et préproduction.
Puis dès l’été 2021, le film est tourné en post-production au Pays de Galles et Matthieu peut réintégrer son bureau londonien. Grâce à ces productions, la société s’est fait un nom dans le milieu et a obtenu de nouveaux projets pour la BBC, Apple ou encore Disney. « À présent, nous travaillons sur le nouveau film fantastique The School for good and evil, qui sortira le mois prochain sur Netflix et pour lequel j’aurai à nouveau mon nom au générique », confie Matthieu enthousiaste et qui a vu son poste évoluer. De compositeur junior 2D, il a débuté à Dupe VFX en tant qu’infographiste 3D et depuis juin dernier, il est superviseur 3D et responsable de l’équipe de création d’images de synthèse.
Complexité des effets spéciaux
Si certains plans se font en quelques heures, d’autres demandent parfois jusqu’à six mois de travail pour quelques secondes à l’écran, et on ne se rend pas toujours compte de tous les effets spéciaux qu’il y a dans les films ou les séries que l’on visionne. Ce n’est pas toujours des gros effets spéciaux incluant cascades ou folles poursuites, c’est souvent des détails dans le fond de l’image qui apparaissent ou disparaissent. Un ciel sans nuage, un bâtiment au loin qui n’a pas sa place est remplacé par une colline, les équipements de tournage restés sur les plans sont enlevés, etc. Dans tous les cas, chaque plan est minutieusement retouché. « Quand je regarde, avec des amis, une série ou un film sur lequel j’ai travaillé et que ces derniers ne voient pas les effets spéciaux, c’est que c’est réussi ! C’est un travail passionnant ! Parfois ça arrive aussi que l’on doive se rendre sur le tournage d’un film pour aider la production à tourner dans les meilleures conditions et prévisualiser le résultat à obtenir, c’est aussi un aspect très intéressant », se réjouit le passionné.
Matthieu vit au nord de la capitale britannique, à Islington, quartier très calme à l’est de Camdentown. « Cela peut paraître étonnant, mais il y a plus de bruit chez ma mère à Sainte-Croix que là où je vis à Londres ! », avoue-t-il un peu en rigolant. Les loyers londoniens étant absolument inabordables, Matthieu est toujours en colocation et a une vie sociale remplie dans cette ville multiculturelle. Quand il revient en Suisse, il profite de la nature et de voir ses amis et sa famille qui lui manque.
Le jeune Matthieu qui ne savait pas un mot d’anglais à sa sortie d’école, travaille donc depuis cinq ans dans la capitale britannique, maîtrise la langue de Shakespeare et vit de sa passion, un métier relativement nouveau mais qui devient plus connu d’année en année. Alors quand il avoue que cela lui a fait bizarre de voir son nom pour la première au générique de fin d’un film à succès… on veut bien le croire !
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