La guerre en Ukraine bouleverse toute l’Europe et le Balcon du Jura aussi. Nombreux sont les citoyens qui se mobilisent pour apporter leur aide aux familles qui ont dû fuir leur patrie. C’est le cas notamment à l’Auberson et à Bullet où des réfugiés ont pu trouver un toit, un lit et bien plus encore.
Il est 05h30 du matin le 24 février 2022 (04h30 à Kiev et 03h30 en Suisse) quand Vladimir Poutine annonce lors d’un message télévisé le lancement d’une «opération spéciale» en Ukraine. Quelques minutes plus tard, une salve de missiles balistiques s’abat sur de nombreux endroits d’Ukraine.
Cette guerre est le début d’un long calvaire pour des millions de personnes forcées à se battre ou à prendre l’exil. Dans notre paisible région, la nouvelle bouleverse nombre de cœurs, et certains citoyens passent à l’action ; des collectes s’organisent, des dons sont récoltés et parfois même des portes s’ouvrent.
À L’Auberson, des familles se mobilisent via un groupe d’entraide chrétien et, rapidement un mini-bus part pour la frontière polonaise avec trois conducteurs pour récupérer des personnes contactées par le réseau. Une fois les réfugiés retrouvés et installés à bord, il reste encore deux places libres pour le voyage de retour en Suisse. C’est ainsi, après un appel dans la foule, que Tatyana, 36 ans et son fils Nazar, 12 ans, s’embarquent dans cette nouvelle épreuve de vie et aboutiront à L’Auberson dans la nuit du 13 mars. « Je me rappelle bien de leur arrivée ; ils étaient hagards, très fatigués et ne pouvaient parler qu’un tout petit peu d’anglais. Ils n’avaient rien avec eux à part un sac à main et une mini valise » relate Angèle Bellanger qui les a accueillis dans sa famille au centre de vacances La Grange. « Jérôme et moi avions bien réfléchi, notre centre était désespérément vide et nous voulions agir pour aider les Ukrainiens. Nous nous sommes donc annoncés auprès des amis chrétiens qui avaient prévu de se rendre en Pologne et à peine une semaine plus tard, Tatyana et son fils étaient là, dans le studio que nous leurs avions préparé. »
Aux Cluds aussi, la famille Chablaix a ressenti le besoin d’apporter son aide et d’offrir un accueil. Par le jeu des réseaux, un lien est établi avec une grand-maman en Ukraine qui cherche à se mettre à l’abri avec son petit-fils, et deux autres mères avec leurs filles. Aussitôt, Olivier Chablaix remplit son bus de matériel (médicaments, couches pour bébé, alimentation,…). Il prend la route avec une employée dimanche 19 mars à la fin du travail, direction la frontière polonaise. Il sera de retour deux jours plus tard aux aurores, avec les 6 personnes qui sont depuis lors hébergées dans les locaux situés au-dessus de son restaurant.
Un gros investissement personnel
C’est Caroline Chablaix, belle-fille d’Olivier, qui a pris en main l’accueil des trois femmes et des trois enfants. Son travail administratif depuis leur arrivée se chiffre à plus de 120 heures. Heureusement elle peut compter sur le fait que Raïssa (la grand-maman ukrainienne) était professeure de français, ce qui permet au moins de franchir la barrière de la langue. « Je n’ose pas imaginer comment cela se passe pour les personnes qui accueillent des gens qui ne parlent ni français ni anglais. Car même avec cet avantage, nous avons eu beaucoup de difficultés pour réaliser toutes les démarches administratives » commente Caroline. « Nous sommes infiniment reconnaissants pour tout ce que la famille Chablaix et les gens ici font pour nous » raconte Raïssa. « En Ukraine, à la maison, je faisais tout, mais ici je suis comme au sanatorium. Caroline nous aide pour les médicaments, le docteur, l’ophtalmologue, les vêtements, le voyage en train à Lausanne, pour les documents et les permis... Elle s’occupe de nous comme une mère. »
Ces difficultés administratives et cette implication de la famille d’accueil se retrouve tout autant chez les Bellanger à La Grange à L’Auberson. « On sent que nous étions au tout début de la crise lorsque nous avons accueilli Tatyana et Nazar car les informations que nous recevions de l’administration n’étaient pas encore très claires. Mais, lorsque nous avons dû refaire les démarches un mois plus tard quand le reste de la famille est arrivé, c’était déjà un peu plus simple » Explique Angèle. En effet, le 11 avril, Daria (fille de Tatyana) et son bébé Miroslava (née un mois après le début du conflit) ont aussi rejoint la Suisse. « Depuis qu’ils sont enregistrés, ils ont le permis S, ils reçoivent de quoi faire leurs courses et ils peuvent cuisiner eux-mêmes. Ils ont aussi beaucoup apprécié le geste de Swisscom, qui a offert l’abonnement de téléphonie pendant 6 mois. C’était un véritable soulagement pour eux de pouvoir prendre contact avec les hommes restés en Ukraine. Mais malgré toute l’aide de l’EVAM, cela demande beaucoup de temps et d’implication de les accueillir car nos invités ne parlent pas encore bien français. Nous devons prendre tous les rendez-vous par téléphone pour eux, les emmener en voiture chez le docteur, les aider pour ouvrir les comptes à la banque et aussi pour trouver un appartement. Ce qui m’inquiète le plus pour leur futur, c’est comment ils feront pour trouver un travail. »
Pour les deux jeunes femmes hébergées aux Cluds, le travail n’est plus une question en suspens. Olivier et Christine Chablaix leur ont offert un emploi au restaurant et ont là encore affronté les démarches administratives pour faire valider les contrats, établir des CVs de contrôle et obtenir les autorisations mais les deux Ukrainiennes peuvent maintenant travailler.
Un foyer au Centre Ming shan
Le centre taoïste Ming Shan à Bullet a également ouvert ses portes et a mis à disposition de l’EVAM ses 30 lits. En effet, si le centre poursuit sa mission de formation par internet et ses activités journalières en présentiel, son activité de séjour avec nuitée n’a pas suffisamment repris après le covid. Le docteur Fabrice Jordan, directeur, a alors souhaité mettre à profit ses locaux pour l’accueil des migrants, estimant que c’était aussi le rôle de ce lieu spirituel. « Si la spiritualité n’est pas incarnée dans les faits, alors ça ne sert à rien. » a-t-il déclaré lors d’une conférence publique où les citoyens de Bullet étaient invités à découvrir le projet et poser leurs questions. « Nous accueillons actuellement 24 personnes dans nos murs et comme vous pouvez le voir (de nombreux enfants jouent au foot dans la cour), les enfants commencent à se sentir à l’aise ici et apportent de la vie. » Les journées sur place sont rythmées par les repas, les cours de français et les parties de foot (les parents ayant été rassurés sur l’absence de serpents dans les prairies de Bullet). Le docteur Jordan propose une consultation médicale chaque semaine avec un traducteur et une assistante sociale est employée à 50% pour encadrer les familles. Pour l’instant il s’agit uniquement de ressortissants ukrainiens provenant de différentes régions et classes sociales mais à terme il y aura probablement d’autres populations de migrants. Il est également envisagé d’ouvrir un centre d’accueil dans la structure de La Grange à L’Auberson, avec l’utilisation de l’ensemble des lits disponibles. C’est en tout cas une proposition que l’association a faite et qui est à l’étude auprès de l’EVAM. Elle pourrait se mettre en place dans le courant de l’été.
Le point de situation de l’EVAM
Durant cette séance d’information, Andreas Zurbrugg, responsable entre autre de l’Etablissement Vaudois d’Accueil des Migrants à Sainte-Croix a apporté des explications sur la situation cantonale. « Nous avons doublé le nombre de foyers d’accueil et en avons maintenant 22. Nous avons ainsi passé d’un effectif de 5’500 migrants de toutes provenances confondues, à plus de 9’500 en quelques semaines. Cela représente 205 personnes hébergées sur le balcon du Jura. »
« Les réfugiés ukrainiens arrivant en Suisse rencontrent les mêmes problématiques que les autres migrants en terme de besoins ou demandes. L’EVAM fournit toutes les prestations de bases auprès des personnes qui s’annoncent : Un lit, un toit, une aide d’urgence pour la nourriture et une assurance maladie. Le financement se monte à 12.50 CHF par adultes et 9.50 CHF par enfant. Il sert à acheter la nourriture à hauteur de 8.00 CHF et le reste couvre les produits d’hygiène et les vêtements. »
À Ming Shan, les repas étant compris dans l’hébergement, les bénéficiaires ne touchent donc que 4.50 CHF par adulte et 1.50 CHF par enfant. « Le foyer que nous avons ouvert ici ne doit pas être une solution durable mais il s’agit d’un tremplin vers l’autonomie avec une perspective d’environ une année. » explique Andreas Zurbrugg. « Je constate que de nombreux Ukrainiens ont de la peine à se projeter malgré leur droit de pouvoir travailler en Suisse. Ils doivent choisir entre le travail et l’intégration ou le retour au pays.» Pour l’heure chacun tâche d’apprendre le français et les jeunes ont rejoint deux classes d’accueil spécifiques où ils reçoivent des cours afin de pouvoir s’intégrer à terme au cursus normal. Mais il s’agit d’un apprentissage difficile pour ces enfants qui n’ont pas fait le choix de quitter leur pays et qui doivent maintenant apprendre une nouvelle langue. « Nous sommes dans une phase d’observation, nous avons actuellement une vingtaine d’élèves en provenance d’Ukraine, nous avons engagé deux personnes pour leur fournir les notions de bases. Mais le plus difficile sera de trouver suffisamment de place dans nos classes à la prochaine rentrée.» Explique Fabian Zadory directeur des écoles à Sainte-Croix. En effet, l’incertitude ici aussi demeure quant à savoir si les effectifs augmenteront ou diminueront dans les mois à venir.
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