Le tourisme d’affaires à zéro plombe l’hôtellerie dans les villes. C’est ce qui ressort de l’Assemblée des hôteliers romands (AHR) tenue au Grand Hôtel des Rasses. La montagne, dont le Jura, s’en sort mieux, mais l’avenir reste suspendu à l’évolution de la pandémie.
L’hôtel Aulac, une institution lausannoise, met la clé sous la porte à la fin du mois. L’information, relayée lors de l’assemblée des hôteliers romands, jeudi dernier au Grand Hôtel des Rasses, n’a surpris personne tant le secteur, en particulier, les établissements qui vivent du tourisme d’affaires, connaît une descente aux enfers. Venues de Vaud, Neuchâtel, Fribourg et du Jura, les nonante personnes rassemblées sur le Balcon du Jura partageaient les propos de leur président sortant Philippe Thuner, lors des discussions durant le dîner dans la salle Belle Époque. « L’année a bien commencé, et si notre assemblée avait été tenue en février, j’aurais pu annoncer un excellent millésime pour 2020 », dixit Philippe Thuner. « Mais l’hôtellerie est entrée dans sa plus grave crise depuis la seconde guerre mondiale, causée par la COVID 19. Les hôtels se sont vidés du jour au lendemain. » Premier touché, parmi les plus impactés avec l’aviation commerciale, le secteur sera sans doute le dernier à repartir, estime Philippe Thuner, qui totalise vingt ans de présidence des hôteliers, vaudois, puis romands.
Aides cantonales
L’association dit être intervenue à de multiples reprises auprès des autorités politiques pour obtenir du soutien, notamment des aides à fonds perdus. Fribourg et Neuchâtel ont répondu positivement. « Le chemin est plus tortueux sur Vaud, mais l’espoir repose sur l’adoption par le Grand Conseil d’une résolution proposée par le groupe parlementaire « Hôtellerie et tourisme » votée par 108 voix contre 11 récemment », rappelle Philippe Thuner. Certains, dont Patrice Bez, directeur du Grand Hôtel des Rasses, demandent à ce que leur conseiller d’État de tutelle « se réveille ». « Il y a cinq à sept mille emplois en jeu dans le canton de Vaud », rappelle Alain Becker.
Les deux établissements dirigés par Patrice Bez connaissent une fortune très différente. La clientèle de l’hôtel Aquatis, à Lausanne, est de 50 % inférieure à celle de septembre-octobre 2019, et un « désastre économique » se profile, explique-t-il. Également président des hôteliers d’Yverdon-Broye-Vallée de Joux, Patrice Bez relève que « des collègues n’arrivent pas à dépasser les 10 % d’occupation ces mois-ci ». À l’inverse, le Grand Hôtel des Rasses a enregistré des nuitées records cet été, et les réservations de l’automne cartonnent à « + 18% par rapport à 2019 », précise le directeur, qui se dit « assez confiant » pour l’hiver, sous réserve de nouvelles restrictions liées à la pandémie.
Venu des Alpes vaudoises, Sergei Aschwanden, directeur général de la Porte des Alpes (Villars-Gryon-Les Diablerets-Bex), relève que l’hôtellerie de montagne a souffert de pertes après un excellent hiver 2019-2020. Il appelle lui aussi à une prise de responsabilité du monde politique vaudois, et espère que les stations pourront « tirer leur épingle du jeu » ces prochains mois, pour autant que la neige arrive. « Si elle tombe à mi-décembre, les réservations rentreront », positive-t-il. Il n’a guère d’attente, en revanche, de la clientèle étrangère : « On risque de ne pas en avoir ».
Créneaux de niche
« Le tourisme d’affaires n’atteindra plus jamais le niveau de 2019, estime Philippe Thuner. Tandis que le tourisme de masse ne repartira que lentement. Il faudra additionner les créneaux de niche, réinventer le tourisme de loisir en faisant vivre des expériences aux clients. » Il estime également que pour réussir, « les régions touristiques, les destinations, les prestataires et nous, les hôteliers, seront obligés de coopérer plus qu’aujourd’hui ».
Le COVID n’a pas le monopole des soucis des hôteliers, complète Philippe Thuner. Le secteur attend également des décisions politiques, pour défendre la liberté commerciale des hôteliers, bridée par les contrats de plateformes de réservation en ligne, réguler la location de chambres type Airbnb et lutter contre l’îlot de cherté de la Suisse.
Les craintes de devoir licencier sont bien réelles. Dans les quatre cantons de la ARH, « il y a eu des mises à pied ponctuelles, mais pas encore de licenciements massifs. Cela nous pend cependant au nez », illustre Alain Becker. Le directeur de l’association romande pointe également du doigt un autre phénomène : les réservations et annulations qui se font toujours davantage à la dernière minute. Et c’est un casse-tête pour la planification du personnel : « Nous avons embauché en urgence cet été pour trois mois, et repris deux extras pour cet hiver. Mais nous sommes parfois en sous-effectif lors d’affluence non prévue », reconnaît Patrice Bez.
L’assemblée des hôteliers romands a élu un nouveau président, en la personne de Jean-Jacques Gauer, de Cully. Accidenté, il n’était pas présent jeudi dernier.
Les tracas du traçage
La toute nouvelle application Socialpass recommandée par le canton de Vaud est vécue comme une contrainte supplémentaire pour les hôteliers. Du côté des clients, elle passe mal également. « Le jeudi de notre assemblée, témoigne Patrice Bez, une table de onze personnes alémaniques, puis une de trois personnes, assises sur la terrasse, ont refusé le traçage par application et sont partis sans consommer. » Si le directeur du GHR recommande l’application, il a néanmoins décidé, avec l’accord de son PDG, « de revenir en arrière et de garder la traçabilité écrite ». Il s’est ouvert à une délégation du Conseil d’État de l’accueil réservé à Socialpass et des difficultés rencontrées.
Tant Alain Becker que Patrice Bez appellent à une harmonisation des mesures d’un canton à l’autre. « Avec trop de contraintes, les touristes vont fuir le canton de Vaud, estime le directeur du GHR ». Mais il plaide cependant pour le respect des mesures par les hôteliers comme par les restaurateurs.
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